Depuis hier, se tient à Paris, une exposition sur la voiture de l’Empereur prise le soir de Waterloo; voir « L’Estafette » à la date du 7 mars 2012 . J’ai pensé qu’il serait utile de reproduire ici cet article paru dans le Bulletin de la Société Belge d’Etudes Napoléoniennes (SBEN) en avril 1974 (dans son n°86). Il vous éclairera sur la provenance et le devenir de cette fameuse voiture. Les photos (celles en noir et blanc) qui viennent compléter cet article sont celles diffusées à l’époque dans ce bulletin.
C.B.
Une précision: la berline qui a donc fait l’objet d’un dépôt en 1973 a été donnée par les descendants de Blücher à l’Etat français en 1975; ce que j’ignorai.
Grâce à l’heureuse initiative de M. Gérard Souhami, membre du conseil d’administration de la Société des amis de Malmaison, et à l’exceptionnelle générosité du comte Blücher von Wahlstatt, descendant du feld-maréchal Blücher, qui en a consenti le dépôt, le « landau en berline » du Service de Campagne de l’Empereur durant la malheureuse campagne de Belgique vient d’entrer au Pavillon des voitures du Château de Malmaison. Il y voisinera désormais avec l’Opale, berline de cérémonie, qui emmena l’Impératrice répudiée à Malmaison le 16 décembre 1809 et avec la voiture moins élégante offert au Musée par le Prince Murat, toutes deux signées de Devaux, carrossier habituel de Napoléon, comme Cauyette et Getting.S.A.I. le Prince Napoléon et plusieurs des hautes personnalités, qui ont daigné accorder leur patronage àla Société des Amis du Musée, ont honoré de leur présence la cérémonie intime de mis en dépôt du « landau », le 31 octobre 1973. Le Directeur des Musées de France souligna la portée de cet acte, le comte Blücher, dans sa réponse, exprima de façon émouvante la satisfaction que lui procurait le retour en France de ce souvenir d’un passé glorieux. Photos au-dessus et à droite: la berline photographiée au moment de son entrée en 1973 dans le Pavillon des Voitures du château de Malmaison. Puis la même berline mais capotée cette fois. Etat actuel. ( sept.2011).
Cette voiture, exposée pour la dernière fois à la fin de 1933 dans une cour de l’Arsenal de Berlin avec une partie du butin fait après Waterloo, n’avait pas attiré l’attention des historiens, autant que celle offerte au Prince-Régent par le major von Keller, puis cédée à Bullock qui l’exposa dès 1818 à l’Egyptian Hall de Londres. Cette dernière voiture brûla le 18 mars 1925 au Musée Tussaud, où elle se trouvait depuis longtemps. Il n’en reste que des fragments dépourvus d’un réel intérêt. En revanche, le « landau » conservé dans la famille des princes Blücher est pratiquement intact, sauf la garniture moderne de drap bleu. Il porte encore, avec la marque du carrossier répétée six fois, les deux numéros qui lui furent attribués en 1812 puis en 1815 par le service du Grand-Ecuyer. On doit regretter que nul historien n’ait songé à relever les numéros de la voiture londonienne, qui les portait nécessairement aux mêmes emplacements. Grâce aux indications que porte le « landau » les documents des Archives de France permettent en effet de préciser que le mémoire pour un « landeau (sic) en berline », mis en service le 12 juin 1812 sous le numéro 429, montant à11.560 F., somme fort élevée si on la compare avec le prix des autres voitures fournie par le même fabricant, est transmis par Caulaincourt à l’Intendant général le 21 août 1812. Or, le landau porte la marque de Getting, lequel dirigea longtemps les ateliers de Cauyette, rue des Martyrs, avant de créer en 1815 sa propre firme. Les noms de Cauyette et de Getting sont associés ou cités indifféremment dans les pièces d’archives avant 1815. Le numéro 429 apparaît toujours sur les moyeux de roues. A l’inventaire de 1815 le numéro 301 fut donné à ce landau ; il est spécifié qu’il a été « pris à l’armée ». Il convient de rappeler l’organisation minutieuse des déplacements de l’Empereur qui relevaient du Grand-Ecuyer. Elle ne variait guère. Il y avait toujours trois « services » de plusieurs voitures. L’un précédait Napoléon de quelques heures. Lui-même prenait place dans une voiture du deuxième [service]. Le troisième [service] partait ensuite. Le baron Fain, confirmé par tous les documents officiels, a pris soin de détailler la manière dont l’Empereur effectuait ses « voyages de guerre », empruntant d’abord un « coupé » à l’usage de « dormeuse » pour les « traites de longue haleine ». Quand l’Empereur quittait cette voiture pour marcher avec ses troupes, on la laissait à l’arrière-garde avec les fourgons dela Maison : c’était ce qu’on appelait « les gros équipages »… « La calèche, attelée par des relais dela Maison, servait à l’Empereur pour se transporter d’un corps d’armée à un autre ».
L’« Ordre de marche » dicté par Napoléon le 10 juin 1815 et mis au net par le Grand-Ecuyer, qui ne devait pas accompagner cette fois l’Empereur, est d’une précision absolue. Le premier Service, scindé en deux groupes de voitures, l’un partant le 10 à 11 heures du soir, l’autre partant le 11 à 4 heures du matin, comprend d’abord le « landau 301 » dans lequel prendront place le général comte de Fouler de Relingue, Ecuyer-Commandant (troisième personnage dela Grande-Ecurie, après le duc de Vicence, Grand-Ecuyer, tous deux indisponibles), et M. Gy, Quartier-Maître des Ecuries, responsable de toutes la marche des équipages, plus un ouvrier et un domestique. Les autres voitures sont celles de la chambre et six « chariots » ou « pourvoyeuses ». L’heure du départ du « Service de l’Empereur » n’est évidemment pas précisée : il comprend la «berline 51» pour les quatre aides-de-camp : Drouot, Flahaut, Corbineau et Labédoyère ; la « battardelle [sic] 399 », avec Marchand, premier valet de chambre [de l’Empereur], un chirurgien, le garde du Portefeuille et une autre personne, le « dormeuse 389 » qui « restera à l’armée », emportant Napoléon et le Grand-Maréchal ,plus Saint-Denis [le mameluk Ali] et des chasseurs, escorté d’un écuyer, d’un page, de deux officiers d’ordonnance, de courrier et de piqueurs. Vient enfin le troisième service, « partant après l’Empereur », comprenant le « voiture du Cabinet 379 » avec le baron Fain, le général Bernard, un garde du Portefeuille et un garçon de bureau, la « gondolle [sic] 262 », pour les gens des officiers, et la « chaise 22 » pour un secrétaire du Grand-Maréchal et un maître d’hôtel de l’Empereur. Soit au total quatorze voitures. Il est précisé qu’un « un lit de fer complet » sera placé « sur la dormeuse de Sa Majesté» et un « lit de fer sans bidet ni chaise sur le landeau (sic) ». La « dormeuse » et le « landau », que Napoléon devait emprunter de préférence sur le terrain des opérations, constituaient donc les voitures essentielles de cet équipage de guerre, l’une plus lourde, au rayon de braquage moins large, pour la route, l’autre plus légère, décapotable, pouvant presque tourner sur elle-même, destinée à affronter tous les terrains. Photo en haut: « Voiture des équipages de Napoléon prise par les Prussiens le soir de Waterloo. Exposé à Londres, elle fut détruite dans l’incendie du Musée Tussaud en 1925. »
On sait la suite : les rapports allemands, anglais, français sont formels et ne contredisent pas les souvenirs des témoins privilégiés, Marchand, Saint-Denis. Au soir du 18 juin 1815, à Genappe, le major von Keller, du 15ème fusiliers prussiens s’empara sur la route encombrée de toutes les voitures arrêtée. Il conserva la « dormeuse » vendue en Angleterre par ses soins, dont les anciennes photographies, les dessins détaillés et les descriptions correspondent bien à ce type de voiture spécialement aménagée pour Napoléon. Seul manque le relevé du numéro pour emporter notre conviction absolue. C’est dans cette voiture, plus personnelle encore que le landau, que furent trouvés les objets les plus intimes, les plus prestigieux, répartis ensuite entre les vainqueurs.
Mais Blücher se réserva le landau armorié, jugé sans doute plus pratique, qu’il envoya à sa femme. La lettre qu’il dicta pour elle le 25 juin 1815, de Gosselies, est trop décousue pour que l’on puisse affirmer que Napoléon a quitté brusquement ce landau pour fuir à cheval. Il est plus probable que l’Empereur a abandonné la « dormeuse » aujourd’hui détruite dans laquelle il devait normalement monter. Si les termes employés pour désigner les différentes voitures de voyage utilisées par Napoléon lui-même, berline, coupé, dormeuse, calèche, landau,… varient suivant les documents contemporains, leurs numéros, leur prix d’achat suffit à les distinguer des simples « chaises, gondoles, batardelles, pourvoyeuses ou chariots… Si nombreux dans les équipages impériaux qui comptaient encore au 12 juillet 1815, 179 voitures auxquelles il faudrait ajouter les 43 voitures « sorties depuis le 20 mars [1815] », c’est-à-dire « prises à l’armée » ou « prises par les Prussiens à Versailles et à Saint-Cloud ». Le « landau en berline » pouvait d’ailleurs servir de « dormeuse » pour le voyageur placé à droite, grâce à un ingénieux dispositif. De par sa qualité et sa provenance, il mérite à coup sûr qu’un spécialiste lui consacre une étude technique détaillée.
Gérard HUBERT,
Conservateur des Musées Nationaux, chargé du Musée de Malmaison.