Lettre de Napoléon à son frère Joseph.
Paris, 7 janvier 1814.
J’ai reçu votre lettre [Joseph, voyant la France près d’être envahie, avait écrit à l’Empereur pour se mettre à sa disposition.-Note de Léon Lecestre]. Il y a trop d’esprit pour la position où je me trouve. Voici en deux mots la question. La France est envahie, L’Europe tout en armes contre la France, mais surtout contre moi. Vous n’êtes plus roi d’Espagne ; je n’ai pas besoin de votre renonciation, parce que je ne veux pas de l‘Espagne pour moi, ni je ne veux pas non plus me mêler des affaires de ce pays que pour y vivre en paix et rendre mon armée disponible.
Que voulez-vous faire ? Voulez-vous, comme prince français, venir vous ranger auprès du trône ? Vous avez mon amitié, votre apanage, et serez mon sujet, en votre qualité de prince de sang. Il faut alors faire comme moi, avouer votre rôle, m’écrire une lettre simple, que je puisse imprimer, recevoir toutes les autorités et vous montrer zélé pour moi et pour le roi de Rome, ami de la régence de l’Impératrice.
Cela ne vous est-il pas possible ? N’avez-vous pas assez de bon jugement pour cela ? Il faut vous retirer à 40 lieues de Paris, dans un château de province, obscurément. Vous y vivrez tranquille, si je vis. Vous y serez tué ou arrêté si je meurs. Vous serez inutile à moi, à la famille, à vos filles, à la France ; mais vous ne me serez pas nuisible et ne me gênerez pas. Choisissez promptement et prenez votre parti. Tout sentiment de cœur et hostile est inutile et hors de saison.
(« Lettres inédites de Napoléon 1er (An VIII-1815). Publiées par Léon Lecestre. Tome second (1810-1815) », Plon, 1897, lettre n°1123, pp.306-307).