Une lettre de l’Empereur au général Savary, ministre de la Police. Elle est pleine de remontrances. Nous sommes lors de la campagne de France.
Nogent[-sur-Seine], le 21 février [1814]
A Savary, Monsieur le duc de Rovigo, il y a bien peu de ressources à la police. Elle sert bien mal. Au lieu des bêtises dont on remplit chaque jour les petits journaux, pourquoi n’avez-vous pas des commissaires qui parcourent les pays d’où nous avons chassé les ennemis, et recueillent les détails des crimes qu’ils y ont commis ? Il n’y aurait rien de plus fort pour animer les esprits que le récit de ces détails. Dans ce moment, il nous faut des choses réelles et sérieuses, et non pas l’esprit en prose et en vers. Les cheveux me dressent sur la tête des crimes commis par les ennemis, et la police ne pense pas à recueillir un seul de ces faits ! En vérité, je n’ai jamais été plus mal servi ! Il est des habitants connus dans les communes et dont les récits excéderaient la croyance. Des juges de paix, des maires, des curés, des chanoines, des évêques, des employés, des anciens seigneurs qui écriraient ce qu’ils nous disent, voilà ce qu’il faut publier. Or, pour avoir ces lettres, il faudrait les leur demander. Il ne faut pour tout cela ni esprit littéraire, ni littérature. Des femmes de soixante ans, des jeunes filles de douze ans ont été violées par trente ou quarante soldats. On a pillé, volé saccagé et brûlé partout. On a porté le feu à la mairie et dans les communes. Des soldats et des officiers ruses ont dit partout sur leur passage qu’ils voulaient aller à Paris, mettre la ville en cendres après avoir enlevé tout ce qu’ils y trouveraient. Ce n’est pas en faisant un tableau général que l’on persuadera. Le prince de… s’est couvert de boue. Il a volé et pillé partout où il a passé. Pourquoi ne pas citer ce fait ? Il est impossible que les bourgeois de Paris et les hommes du gouvernement ne reçoivent pas des lettres de toutes les parties d’où les ennemis ont été contraints de se retirer. Ne peut-on pas recueillir ces lettres et les imprimer ? C’est alors, après que tous les détails particuliers auront été signalés, que des articles bien faits seront d’un bon résultat. Ce seront des tableaux fait s su les éléments dont tout le monde connaîtra la vérité. Les préfets sont en général des hommes connus et estimés ; ils devraient écrire au ministre de l’Intérieur et celui-ci ferait imprimer leurs lettres. »
Lettre contenue dans l’ouvrage d’A. Périvier, « Napoléon journaliste », Plon, 1918, pp.303-304.