Rapport du comte Anglès en date du 25 août 1814.
« Les bruits les plus extraordinaires continuent à se propager relativement à Bonaparte. Ainsi, on parle dans la ville de Chambéry d’une lettre écrite de l’île d’Elbe par un soldat de la Garde à l’un de ses camarades et dans laquelle se trouveraient ces mots : « Nous sommes bien nourris et bien payés ; nous gardons la cage, mais l’oiseau n’y est plus ». D’autre part, il se débite à Gênes, que Bonaparte a répondu à des officiers français et italiens qui avaient été lui offrir leurs services : « vous voyez que je ne peux pas vous employer; mais, retournez dans vos foyers. Si j’ai besoin de vous, je saurai vous trouver ».
On ajoute que, Napoléon ayant demandé à quelques officiers et soldats comment ils se trouvaient dans l’île d’Elbe, ils avaient répliqué : « Fort mal ; cette île ne vaut pas la France ! »-Il leur aurait dit alors : « Allez, mes amis ; sous peu, je vous mettrai ailleurs ! »
Ces propos, où perce si fortement l’esprit de parti et de haine me sont transmis par le préfet de Marseille. Ils contiennent, sans doute, beaucoup d’exagération, mais ils indiquent, au moins, avec quelle aveugle confiance on accueille toutes les paroles qu’on prête à Bonaparte, quelques absurdes qu’elles soient; combien les regards sont tournés vers lui et combien de gens lui supposent encore un avenir conforme à leurs coupables espérances ! De son côté », il leur semble encore menacer tout ce qui l’environne, si l’Europe ne prend des moyens efficaces pour l’empêcher d’y être dangereux. »
(Georges Firmin-Didot, « Royauté ou Empire. La France en 1814. D’après les rapports inédits du comte Anglès », Maison Didot, Firmin-Didot et Cie Éditeurs, s.d. [1897], pp.106-107).