Durant la campagne de 1813, Louis-Vivant Lagneau (1781-1867), était chirurgien-major dans un régiment de fusiliers-grenadiers.
« 1er novembre. L’ennemi nous attaque de nouveau, désireux de prendre sa revanche (car il a perdu de 10 à 11 000 hommes) et nous 3000, mais il perd encore 1 500 à 2 000 hommes. De Wrède s’était mal placé, il avait à dos la rivière du Kinzig, qui se réunit au Mein à Hanau. Nous, nous avions en avant de cette ville une belle et grande plaine qui rendait nos manœuvres faciles, et nos tirailleurs avaient chassé l’ennemi à mesure que notre formidable artillerie avançait en foudroyant les masses qui nous étaient opposées.
Pendant la bataille de Hanau, nous suivions la direction qui nous était donnée, lorsque vinrent nous traverser au grand trot les dragons de notre Garde, qui paraissaient aller à une chose plus pressée et, contrariés de l’obstacle que leur présentait notre division, qui défilait, ils éloignèrent nos baïonnettes avec leurs bottes, de sorte que je reçus, dans cette mêlée, un coup de sabre à plat sur mon chapeau. J’avais bien envie de ma fâcher contre l’officier, un peu étourdi, qui me l’avait lancé, sûrement sans intention qui me fut personnelle. Mais ce n’était pas le cas, au vu de l’utilité de la charge, qui fut en effet des plus brillantes et des plus efficaces.
Après ces belles affaires, dans des circonstances bien tristes d’ailleurs, la retraite n’est plus entravée. Napoléon suit la route de Mayence, nous la Jeune Garde, passons un peu à droite, vu les embarras des chemins et nous traversons Francfort, où je reconnais parmi les curieux plusieurs officiers de Hesse-Darmstadt, qui avaient servi avec nous dans la campagne. Ils étaient alors commandés par un de leurs princes, Émile d’Auerstaedt, qui était un excellent jeune hommes. A Francfort, ces officiers sont en bourgeois en curieux.
Mayence est encombré de traînards, de dépôts de divers régiments et les hôpitaux pleins de malades attaqués du typhus, qui y fait de grands ravages, et qui n’épargne pas les habitants eux-mêmes.
Là, je perdis d’une affection de poitrine, un bon et beau cheval que j’avais acheté au début de la campagne. Cette perte me fut très sensible. C’était un cheval hanovrien, que j’avais acheté à un paysan qui l’employait à son labour, car on voit communément là des chevaux magnifiques, attelés à la charrue.
Malheureusement, ce pauvre animal était fatigué de notre retraite. Ce qui a pu contribuer à ce qu’il fût pris de la fluxion de poitrine qui l’a tué, c’est ce je n’avais pu, dans Mayence, lui trouver une écurie et que j’avais été forcé de le mettre très à mal à l’abri, sous un auvent, où il aura été saisi par le froid très rigoureux que nous éprouvions alors.
7 novembre. Napoléon part pour Paris. Il avait malheureusement laissé dans les places de la Vistule, de l’Oder et de l’Elbe 190 000 hommes de garnison : Dantzig, Thorn, Dresde, Torgau, Hambourg, Magdebourg, etc.
Si nous avions eu ces hommes à Leipzig, la chance nous eût été sûrement favorable, surtout avec la coopération de généraux éprouvés comme Davout, Saint-Cyr, etc., dont l’expérience consommée et la résolution nous eussent assuré la victoire à Leipzig et plus tard une paix honorable.
17 novembre. Nous reprenons la route de Paris, en passant par Trèves… Thionville, Verdun, Châlons-sur-Marne, etc.
Dans un village, aux environs de Kreuznach, première étape après Mayence, je laissai en quittant mon logement, ma bourse assez bien garnie de pièces d’or, frédérics et napoléons. M’en étant aperçu lorsque j’étais déjà en route, je retournais au moins trois lieues, mais je ne retrouvai rien. Je laissai une note au maire de l’endroit, avec prière de m’envoyer ma bourse si on la trouvait. Mais je n’ai pas reçu de nouvelles.
Arrivés à Paris le 22 novembre, on s’occupe de nous compléter le régiment avec des hommes tirés des conscriptions très anciennes et qui n’ont pas été demandés avant. De beaux hommes, forts, bien développés et intelligents. On y a versé aussi des soldats de différents bataillons de dépôts. Sommes toute, c’est une bonne et rassurante organisation. »
(Louis-Vivant LAGNEAU, « Journal d’un chirurgien de la Grande Armée, 1803-1815. Edition présentées et complétée par Christophe Bourachot », LCV Services, 2000 pp.172-174).