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Encore des bruits, toujours des bruits…

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« 8 Février 1815.- On a fait courir, aujourd’hui, dans Paris, un bruit qui a toutes les apparences d’une fable; il s’agit de la sortie de Bonaparte de l’Ile d’Elbe, pour aller se réunir à Murat, sous les murs de Rome, selon les uns, à Naples, selon les autres. Cette variante suffirait, seule, pour prouver qu’on n’a rien de positif, à ce sujet, non plus que sur la prétendue entrée de Murat dans Rome. Néanmoins, une secrète intelligence entre eux ne semble plus douteuse, à en juger même par les aveux de leurs partisans. Mais Murat n’oserait, dans la position critique où il se trouve vis à vis du Congrès, jeter encore le masque, qu’autant qu’il ne conserverait plus le moindre espoir d’une indemnité pour le trône de Naples. En affichant une telle audace, il achèverait de se perdre et il ne lui resterait plus qu’à tenter le soulèvement de l’Italie, où il est plus que probable qu’il échouerait, fût-il même secondé par Bonaparte. Leurs partisans le sentent si bien que, pour donner quelque couleur de possibilité à ces absurdes projets, ils sont réduits à y faire concourir l’Autriche qui consentirait donc, alors, à voir tomber de ses mains cette magnifique proie de l’Italie ! Tous les regards et toutes les conjectures sont tournés de ces côtés. Les espérances des militaires, celles des bonapartistes, sont dirigées vers ce point. Peu s’en faut qu’ils ne rêvent que Murat viendra leur ramener Bonaparte en France, avec ses mêmes Napolitains que, malgré leur amour pour le pillage, on n’a pu décider, sur la fin de la dernière campagne, à passer le Pô. Il est, du reste, bien difficile de se former une idée juste des événements qui se préparent, au delà des Alpes, avant d’être bien fixé sur le résultat du Congrès en ce qui concerne Naples. Si la protection de l’Autriche suffisait pour y laisser Murat, il ne tente rait rien. Si, au contraire, on prononce sa chute, il est assez exalté en vanité pour tout hasarder; et ce n’est que, dans cette dernière hypothèse, qu’il consentirait à s’associer à Bonaparte, qu’il hait et qu’il craint, c’est-à-dire à redevenir son lieutenant. Mais, alors même, Murat ne ferait qu’accroître les dangers que court son ancien souverain, parce que les Napolitains ont toujours détesté Bonaparte et l’auraient bientôt tué, s’il se montrait parmi eux. »

 (Georges Firmin-Didot, « Royauté ou Empire. La France en 1814 d’après les rapports inédits du comte Anglès », Maison Didot, 1897, pp.249-251).

« 13 Février 1815. — D’après des rapports dignes de créance, que j’ai: entre les mains, il n’est pas possible de croire à l’entrée de Murât à Rome, mais il est certain que, pendant qu’il se fait donner des fêtes à Naples, une partie de ses troupes menace Rome de plus ou moins près et en gêne les communications au dehors. On est même disposé à croire qu’il agit, en cela, de concert avec l’Autriche qui a, aussi, des griefs contre le Saint-Père et qui en sera quitte pour rejeter sur Murat l’odieux d’une telle persécution, lorsqu’elle aura obtenu ce qu’elle désire. Il est assez remarquable que, tandis que les lettres des personnes attachées à l’ambassade de Rome ne sont que du 25 janvier, quelques-uns de nos journaux citent des lettres du 29. Nouvel indice que Murat n’est pas sans intelligence dans Paris et qu’il a soin d’y charger ses amis d’exagérer ridiculement ses forces, que le Journal Général porte aujourd’hui à quatre-vingt neuf mille hommes mobiles et à cent cinquante mille sédentaires. L’impression de toutes ces fables sur l’Italie est très vive parmi les militaires de tous les rangs et jusque dans les casernes. On n’y doute pas que la guerre ne soit certaine et que Bonaparte et Murat n’agissent de concert. Les soldats en concluent qu’ils reverront bientôt celui qu’ils ont recommencé à appeler « leur papa », selon plusieurs rapports de caserne que j’ai sous les yeux et que je vais vérifier. Il est, cependant, aussi, quelques militaires, entre autres, un colonel Poisson, qui accusent Murat d’aller trop lentement et Bonaparte de ne pas se mettre assez vite en avant, de songer, même, à aller en Angleterre, de peur d’être compromis par les troubles d’Italie. Suivant d’autres renseignements, auxquels je donne la plus sérieuse attention, on chercherait, sur divers points de la France et même à Paris, à enrôler pour Murat des artilleurs et des officiers décorés. On leur assurerait deux cents francs pour leur route, le même grade et le même traitement qu’en France; on leur promettrait, aussi, à leur arrivée en Italie, la croix de la Couronne de Fer. Cette dernière promesse serait d’autant plus remarquable que c’est l’Autriche seule qui, aujourd’hui, dispose de cet ordre. Hier, au foyer de l’Opéra, on parlait beaucoup du fils de Marie-Louise, des prétendues caresses que lui prodigue l’Archiduc Charles, en le qualifiant de Majesté, et de la prédilection que lui témoigne, depuis quelque temps, ainsi qu’à sa mère, l’Empereur d’Autriche. »

(Georges Firmin-Didot, « Royauté ou Empire. La France en 1814 d’après les rapports inédits du comte Anglès », Maison Didot, 1897, pp.254-256).

 

 

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