« Le 16 de février [1815], Sa Majesté me chargea d’une commission, et je crus que l’objet de cette commission était le signal de notre départ je ne me trompais point. Le 20, je reçus les premiers ordres pour les préparatifs Tout était dans la tranquillité la plus profonde. Une chose qui n’était rien en elle-même, mais qui était beaucoup en apparence, contribuait à ce calme des esprits. Il y avait un terrain inculte à côté de la caserne impériale de Porto-Ferrajo. L’Empereur donna ce terrain à la Garde pour qu’elle en fit un jardin d’agrément. Ce jardin était divisé en plusieurs parties. Chaque partie était la propriété particulière d’une compagnie. Le tout devait former un ensemble régulier. Les officiers et les soldats rivalisaient pour avoir les plus beaux arbres, les plus belles fleurs. Jamais l’ambition n’avait été plus aimable. Jamais l’émulation n’avait été plus riante. L’Empereur s’amusait de ce zèle, de cette activité. Le jardin des Braves était devenu le rendez-vous des curieux. Il est certain qu’il était dirigé avec un goût exquis. L’on aurait dit qu’un nouveau Le Nôtre présidait à son arrangement. Tandis que la Garde s’occupait à embellir sa demeure, je faisais préparer les bâtiments sur lesquels nous devions nous embarquer. Pourtant l’opinion était sourdement travaillée. L’on se disait confidemment [confidentiellement] que le roi de Naples s’avançait à la tête de son armée. L’on assurait que l’Empereur avait pardonné à Murat et fait un traité avec lui. L’on n’était pas inquiet, mais l’on était intrigué. Dans cet état d’incertitude sur les rapports de l’île avec le continent, et tandis que l’imagination, se créant mille fantômes, préparait l’esprit à de grands événements, l’on donna tout à coup la nouvelle, qu’on disait avoir été apportée par un grand personnage a venu incognito à Porto-Ferrajo, d’où il était reparti immédiatement après une longue conférence qu’il avait eue avec Sa Majesté, « que l’Empereur était rappelé en France, que les Français étaient exaspérés, que si Sa Majesté ne se rendait pas de suite aux vœux de la patrie, l’on finirait par mettre le duc d’Orléans sur le trône ; que le Roi avait manqué d’être enlevé dans son propre appartement. » Cette nouvelle fut l’éclair précurseur de la foudre. Aussitôt la foudre éclata : nous partîmes !
Les 20, 21, 22 et 23, l’on travaillait activement et l’on se doutait de rien. »
(André PONS de l’HERAULT, « Mémoire aux puissances alliées… », Alphonse Picard et Fils, 1899, pp.109-111).