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De la possibilité d’un combat naval…

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Napoléon 1er

« Il y avait à bord de l’Inconstant trois et quatre fois plus de monde. ll n’en aurait fallu pour y être passablement bien. Nous étions vraiment les uns sur les autres. Une petite place de repos était une chose précieuse. Si le beau temps ne nous eut favorisés, nous aurions extrêmement souffert. Pourtant nul ne songeait à se plaindre de son malaise. Mais où allions-nous? L’Empereur n’avait pas dit un seul mot qui pût donner la certitude que nous rentrions directement en France il y avait même une présomption contraire. A la nouvelle confidentielle de la marche de Murat avait bientôt succédé une autre nouvelle également confidentielle, et qui nous instruisait que là où nous aborderions nous trouverions une armée amie qui nous recevrait à bras ouverts. Cette armée ne pouvait être que celle du roi de Naples et les Napolitains étaient encore en Italie. De là une foule de raisonnements opposés. Ceux-ci  nous faisaient débarquer à Viareggio ceux-là à la Spezzia,  les autres à Vado. Les grenadiers de la Garde étaient les seuls qui eussent une opinion décidée « Nous allons à Paris, disaient-ils, n’importe quel chemin que nous prenions » C’est dans le développement plus ou moins sensé de cette masse d’idées erronées que la première nuit de la traversée s’écoula. La lune était claire le vent était faible, mais favorable; la mer était calme. Tout présageait un heureux voyage. Je me rappelle que, lorsque je lus le Moniteur qui rendait compte de cette traversée, je le trouvai inexact ainsi je ne serai pas d’accord avec lui mais je dis ce que j’ai vu et ce que j’ai entendu, sans me mettre en peine si d’autres ont dû voir et dû entendre d’une autre manière. Le 27, au lever de l’aurore, nous étions à vingt milles environ de l’Ile d’Elbe. Quand les premiers rayons du soleil dorèrent la cime des monts, nous nous plûmes à considérer notre rocher hospitalier; l’histoire des amours vint ensuite celle des ennuis eut aussi son tour. L’Empereur monta sur le tillac, et nous ne nous occupâmes plus que de Sa Majesté. Sa Majesté fut accueillie comme si Elle venait d’arriver parmi nous. Les grenadiers étaient entassés dans la cale et au milieu des canons. Cette manière d’être était pénible Sa Majesté mit plus d’ordre dans leur arrangement. Elle distribua les postes, Elle organisa le service de mer, et dès lors les Braves respirèrent plus commodément. Ce fut là, au milieu du la foule de ses grognards, que pour la première fois Sa Majesté parla clairement et précisément du but de son expédition. Un soldat, à qui Elle demandait « s’il était content do rentrer en France, » lui répondit « Sire, il n’y a qu’une France dans le monde, » et un sergent ajouta de suite « Et qu’un Empereur pour les Français. » Ce joli à-propos n’échappa point, et la garde y ajouta son cri chéri « Vive l’Empereur !  Vive Napoléon !» Au même instant lus hommes en vigie annoncèrent qu’une frégate, qu’on découvrait sur la côte orientale de Livourne, cinglait amures la bâbord, le veut au nord-nord-est, et semblait faire force de voiles. Il était dix heures du matin. Nous tardâmes peu à reconnaitre que c’était la corvette stationnaire de  l’Ile d’Elbe et sur laquelle le colonel Campbell était ordinairement embarqué [La Perdrix  qui revenait de Livourne, et qui arriva à Portoferraio dans la matinée du 28]

Aussitôt la figure de l’Empereur s’anima. Sa Majesté ordonna qu’on mît toutes voiles dehors. Le vent que le brick avait était plus à l’est que celui que la corvette trouvait près de terre. Les vigies examinaient  attentivement la manœuvre des Anglais bientôt elles crurent qu’ils faisaient route sur nous. « Qu’on se prépare au combat ! » dit l’Empereur. – A l’abordage ! crièrent  unanimement tous les fideles. A l’abordage soit. » répéta froidement Sa Majesté. Sa Majesté commandait directement. Sa contenance était calme, mais fière et deux rayons de feu semblaient sortir de ses yeux. L’Inconstant avait trois embarcations à la remorque, sa chaloupe et  les deux canots ordinaires de l’Empereur cela ralentissait extrêmement la marche. La chaloupe fut laissée aux soins d’un bâtiment du convoi le canot le moins léger fut coulé bas et abandonné. Cependant la corvette cessa de nous donner des inquiétudes elle continua de pousser à l’est. Dans le moment de la plus grande activité pour les préparatifs de combat, le chevalier Malet [colonel Malet], commandant de la Garde, m’engagea à prier Sa Majesté de descendre dans la chambre si nous nous battions. Je fis cette commission par complaisance il me semblait que Sa Majesté trou verrait ma prière déplacée, et je ne me trompais pas tout a fait « Sire, dis-je à l’Empereur, les fidèles désirent que Votre Majesté ne soit pas sur le tillac dans le cas où nous devrions aller à l’abordage. » Sa Majesté me répondit vivement « Quoi que je me cache tandis qu’on se battra ? Je crois, Messieurs, que vous plaisantez. » Sa Majesté prononça ces derniers mots avec un sérieux qui n’était pas du tout plaisant, et je terminai là ma harangue. En nous éloignant de la corvette anglaise nous nous étions étions rapprochés de la croisière française, et, dans l’après-midi, nous fûmes en vue des deux frégates qui étaient en station en Corse  [D’autres témoins n’ont vu qu’une frégate, la Fleur de Lys]. Un nouveau péril semblait nous menacer. Pourtant Sa Majesté n’était point inquiète. « Ce sont de bons Français ils aiment la gloire de leur patrie, répéta-t-Elle plusieurs fois. S’ils viennent nous, nous arborerons le pavillon tricolore, et ils imiteront notre exemple. » L’apparition des frégates avait fait impression sur les esprits le langage rassurant de Sa Majesté dissipa tout. Durant les quelques heures que le voisinage de cette croisière aurait pu être dangereux, l’Empereur ne témoigna pas la plus petite crainte. La sérénité était répandue sur sa figure et toutes les paroles de Sa Majesté étaient dos paroles de confiance. Nous échappâmes à ce nouveau risque et nous continuâmes notre route. »

(André PONS DE L’HERAULT, « Mémoire aux puissances alliées », Picard et Cie, 1899, pp.128-131)

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