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« La marche incertaine de l’aventurier… »

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« 7 Mars 1815.- Je me dispense de répéter au Roi les détails que je sais Lui avoir été successivement soumis, sur ce qui a suivi le débarquement de Bonaparte. Les lettres que j’ai reçues des préfets du Var, des Bouches-du-Rhône et du Rhône ne feraient que confirmer à S. M. ce qu’elle connaît déjà : la marche incertaine de l’aventurier, venu en désespéré chercher la mort sur le sol français; le refus fait par les fonctionnaires, placés sur la route, de trahir leurs devoirs pour lui et même de lui porter des hommages; la fidélité des pays qu’il a traversés, depuis la mer jusqu’à Gap; l’arrestation et le désarmement des soldats qu’il avait envoyés à Antibes pour y prêcher le parjure; l’excellent esprit qui a éclaté à Marseille; les drapeaux blancs arborés à toutes les fenêtres; l’enthousiasme de la garde nationale de cette ville demandant à marcher contre l’ennemi commun; M. le Maréchal Masséna répondant à de vains bruits de trahison par des mesures bien combinées et mettant en mouvement les troupes sous les ordres du Général Miollis; M. le Comte Marchand (I) promettant de défendre Grenoble jusqu’à la dernière goutte de son sang, en cas que cette ville fût attaquée; un heureux mouvement imprimé aux corps armés de ces contrées, de manière à ce que Bonaparte soit bientôt cerné et écrasé, s’il ne  survient pas quelques-unes de ces défections que rien nefait, jusqu’ici, présumer. Enfin, les dispositions de Lyon étaient calmes et paisibles avant même que S. A. R. Monsieur y fût arrivé, pour tout enflammer de sa présence et de son exemple. Telle est la substance de ma correspondance; elle m’inspire le juste espoir que Bonaparte ne tardera pas à recevoir le digne prix de ses criminels efforts pour livrer de nouveau la France à la guerre civile, à la guerre étrangère, et pour en amener le démembrement, s’il avait pu obtenir le moindre succès. La proclamation du Roi a eu le succès qu’on en devait attendre; elle a rallié autour du trône tous ceux pour lesquels les devoirs les plus sacrés envers le monarque et les intérêts les plus chers de la patrie sont quelque chose. On se disputait, ce matin, cette pièce; on la dévorait et on calcule qu’il en a été vendu, dans Paris, au moins vingt mille exemplaires. Comme elle ne contenait pas le récit des faits auxquels elle s’appliquait, j’ai fait imprimer et distribuer une très courte notice où ils étaient exposés. Il en a été mis en circulation huit mille exemplaires. On a pu juger combien nous étions loin des habitudes de la Révolution; car, autrefois, des milliers de groupes se seraient formés, des motions, des propositions de violences, dans l’un ou l’autre sens, s’y seraient faites. Aujourd’hui, on se rencontrait et l’on se questionnait avec inquiétude, on accusait Bonaparte de vouloir troubler notre repos et nous apporter la guerre civile, la guerre étrangère, comme moyens de sacrifier, encore une fois, s’il le pouvait, la France à sa dévorante ambition. Mais personne ne devançait les mesures que le gouvernement réputait utiles; pas un excès n’a été provoqué pas un désordre n’a été commis. Les femmes, surtout, voyaient autour de Bonaparte le cortège de calamités qu’il nous destinerait : elles semblaient trembler, déjà, pour leurs enfants. Le bon sens du peuple l’a averti de l’horreur de cet avenir, son opinion s’est bien prononcée. On ne peut pas en dire autant des militaires, des officiers surtout; leurs vœux, quoique encore embarrassés et dissimulés, perçaient pour leur ancien chef, mais sans éclat, sans tumulte; il n’y a pas eu un cri de : « Vive l’Empereur !-» Si, comme l’indique la folie de son entreprise, Bonaparte avait calculé sur une première explosion, ses partisans l’ont trompé en l’appelant de son Ile : leur coup et le sien ont été manques. Personne n’eût osé garantir, au moment où retentirait cette nouvelle, un calme aussi parfait! Ce n’est pas qu’on ait négligé les contes ; on est venu me dire, ce matin, que le Faubourg Saint-Antoine était en mouvement. J’ai fait vérifier, de suite, ce bruit : pas un individu n’avait bougé. Ce soir, on a prétendu, jusque dans le château [celui des Tuileries], que des cocardes tricolores avaient été arborées au Palais-Royal. J’ai recueilli, à ce sujet, les renseignements les plus positifs; le fait est absolument démenti par de nombreux témoignages. Il y a même eu moins de monde au Palais-Royal que de coutume et ii ne s’y est manifesté aucune agitation. On peut donc dire, qu’à l’exception du parti militaire qui, encore, est loin d’être unanime dans ses coupables vœux et où les soldats se sont assez froidement montrés, la journée a été tout entière, et sur tous les points de Paris, en faveur des Bourbons contre Bonaparte. »

(Georges Firmin-Didot, « Royauté ou Empire. La France en 1814. D’après les rapports inédits du comte Anglès », Maison Didot, Firmin-Didot et Cie, Éditeurs, 1897, pp.275-278).

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