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« Il semblait qu’on crût déjà voir Bonaparte aux portes de Paris… »

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« 12 et 13 Mars 1815. — L’esprit public s’est un peu relevé, depuis hier, de l’espèce d’abattement où il était. Il semblait qu’on crût déjà voir Bonaparte aux portes de Paris, comme si son nom eût irrésistiblement entraîné l’armée tout entière par le plus inexplicable des prestiges ! On n’osait presque plus espérer que des gardes nationales, en quelque nombre qu’elles fussent, arrêteraient des troupes de ligne, dans leur marche sur la capitale. La certitude de voir le gouvernement défendu par une portion considérable de l’armée; la loyauté avec laquelle se prononcent les maréchaux ; les sentiments de fidélité que professent un grand nombre de généraux et d’officiers supérieurs; la résipiscence des corps de Lille et de Cambrai ; l’arrestation du Comte d’Erlon et des deux généraux Lallemand ; la fuite du Général Desnouettes; les nouvelles portant que l’ancienne Garde montre, à Metz et à Nancy, l’intention de rester fidèle au Roi et que M. le Maréchal Ney s’avance sur les derrières de Bonaparte; que celui-ci n’a pas huit mille hommes sous ses ordres; qu’il est entré à Lyon au milieu d’un morne silence et que la population des pays qu’il traverse ne s’associe, ni par ses vœux ni par ses efforts, à une si criminelle entreprise, tels sont, pour le public, les principaux motifs de retour, non à une entière confiance, mais à un commencement de sécurité que quelques succès, ainsi que des obstacles mis à la marche de l’Usurpateur et la rapide arrivée de l’ancienne Garde, accroîtraient singulièrement. La question est sans: nuages pour la partie pensante du public; il a craint de voir la nation d’un côté, l’armée de l’autre, et une guerre civile s’allumer, sous ces déplorables auspices. Aujourd’hui, l’opinion de la nation se déclare, ouvertement, en faveur du Roi et la majorité de l’armée est heureusement encore avec lui. L’amour pour le Roi s’augmente des périls mêmes dont on a supposé sa couronne menacée. L’aversion contre Bonaparte se grossit de toutes les chances qu’il nous apporte de guerre intestine et de guerre étrangère. Ses partisans sont étonnés de le trouver si haï, si redouté. On était tenté de le plaindre dans son Ile; on ne fait plus que le détester sur notre territoire. Mais ces sentiments ne suffiraient pas pour le chasser, pour le vaincre, si les troupes qu’il est si urgent de réunir ne se décidaient à le combattre et à le tenir, ainsi, éloigné de Paris où il s’emparerait de toutes les bouches de la Renommée et ferait taire l’opinion même qui tonne contre lui. Ce sont moins les chefs qu’il faut redouter, dans cette lutte, que les soldats qui finiraient par emmener la plupart d’entre eux hors des lignes de leurs devoirs, de leurs intérêts, de leur honneur. Une sorte de démocratie militaire nous menace et nous poussera vers la tyrannie, si l’on ne trouve des moyens efficaces à lui opposer, et promptement. Une fois Bonaparte dans Paris, les défections se multiplieraient et la monarchie légitime, rejetée aux extrémités et réduite à lui disputer quelques provinces, serait gravement compromise. Il ne serait pas prudent de compter sur une résistance de la part de Paris seul; les enrôlements volontaires de quelques milliers de serviteurs zélés, mais inaccoutumés au métier des armes, y seraient une ressource bien faible, il ne faut pas le dissimuler au Roi. L’égoïsme, qui est la maladie des grandes villes, et la terreur du pillage qui pourrait suivre une invasion forcée, ne permettraient pas aux Parisiens de s’y exposer en se défendant. Ils subiraient plutôt la loi du conquérant le plus odieux ! C’est donc loin de Paris qu’il faut, à tout prix, sauver Paris, comme Bonaparte l’a éprouvé à pareille époque. »

(Georges Firmin-Didot, « Royauté ou Empire. La France en 1814. D’après les rapports inédits du comte Anglès », Maison Didot, Firmin-Didot et Cie, Éditeurs, 1897, pp.287-291).

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