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Et à Paris et en Europe…

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« A Paris, le café Montansier, auprès du Palais-Royal, était devenu depuis le 20 mars « le rendez-vous de tous les amis de la gloire nationale », parmi lesquels se voyaient de nombreux officiers . Le 23 mars on y chantait des vers improvisés, qui révèlent avec une simplicité pittoresque les sentiments des bonapartistes parisiens :

L’île d’Elbe à noire espérance

A rendu l’objet de nos vœux:

Il reparaît, et de la France

Tous les habitants sont heureux.

Pour les Français ah! Quelle fête!

Ils ont, dans la même saison,

Vu revenir la violette,

Le printemps et Napoléon.

Les Bourbons voulaient à la France

Rendre leurs anciens préjugés.

C’était un acte de démence :

Ils sont partis, ils sont jugés.

O Providence ! Ainsi lu règles

Le sort de notre nation.

La France est faite pour les Aigles,

Les Français pour Napoléon !

Les partisans de Napoléon, dans la capitale, étaient si émus devant « le prodige » du retour qu’ils croyaient de bonne foi à une France unanime dans le culte impérial . L’Empire était rétabli. Cet événement entrainerait-il nécessairement la guerre avec l’Europe, n’impliquait-il point, au contraire, la certitude d’une ère pacifique? C’est sur ce problème que s’exerçaient, au lendemain du 20 mars, les imaginations des Français. Dans la masse de la population parisienne la confiance dans l’Autriche et même dans l’Angleterre se manifestait avec force. Certains bonapartistes s’abusaient complaisamment. Le 22 mars en effet Soulanges-Rodin écrivait de Paris au prince Eugène : « … Déjà même nous ne regardons plus ici l’Autriche comme une puissance étrangère, puisque c’est d’elle que nous nous attendons à recevoir bientôt et l’épouse de l’Empereur et l’héritier de l’Empire» . On parlait d’un sérieux accord entre Napoléon, l’Autriche et l’Angleterre, ou d’une trêve de vingt ans en Europe, et le silence de plusieurs personnages officiels, qui n’osaient sans doute se prononcer, affermissait ces erreurs. On produisait encore des raisonnements presque aussi rassurants : ni l’Autriche, résolument acquise à Napoléon, ni l’Angleterre, malgré ses tenaces jalousies envers la France, ni la Russie, sans argent et absorbée par ses embarras intérieurs, ne songeaient à entrer en lutte avec la France : restait la Prusse, et une guerre avec la Prusse « offrait peu de dangers ». Marie-Louise et le roi de Rome étaient attendus avec obstination. Une brochure, Du Retour de S. M. l’Impératrice Marie-Louise et le roi de Rome, publiée le 3 avril, enregistrait débonnairement le vœu public : Marie-Louise et son fils «ont déjà, sans doute, franchi la barrière qui les sépare du plus cher des époux, du plus tendre des pères… Illustres voyageurs…, votre retour dans la capitale va donner le signal d’une concorde universelle ». Diverses conversations, il est vrai, s’alimentaient de renseignements opposés : on disait que Marie-Louise était «gardée à vue à Presbourg », et que l’empereur d’Autriche avait « livré en otages, comme garants de sa conduite envers les Alliés, le roi de Home et le prince Eugène». De plus on raconte à la fin de mars, parmi le monde de la finance et dans les cafés, que l’armée prussienne entoure Metz, que l’avant-garde du général Zieten a dépassé Liège qu’enfin l’Empereur veut incorporer 300.000 conscrits. Dans la haute société parisienne Napoléon sentit tout de suite de la froideur et du découragement, beaucoup de Parisiens notables, en effet, nourrissaient les plus démoralisantes conjectures sur les événements prochains, et la Déclaration du 13 mars les frappait d’une commune angoisse-.. Il s’y mêlait contre Napoléon une colère faite d’humiliation patriotique : reconnaître le traité de Paris, le réclamer «à genoux », c’était là une altitude non seulement indigne de la France, mais qui ne procurait même pas le moyen d’arrêter la ruée des troupes alliées. Loin de satisfaire à l’orgueil national, Napoléon n’étalait qu’un misérable égoïsme, auquel il sacrifiait criminellement la patrie.

Et certains regrettaient qu’il n’eût point adopté le seul parti qui put sauver la France, en occupant à la fin de mars la Belgique pour organiser à l’abri du Rhin un solide rempart défensif. A Davout qui, pour le rallier, se servait des dires de Napoléon sur l’Autriche, Macdonald répliquait en tendant la Déclaration du 13 mars, dont il avait rapporté du Nord plusieurs exemplaires. Avec Rapp, Napoléon eut deux entrevues à la fin de mars. Dans la première, comme le général laissait entrevoir quelque souci de l’avenir, Napoléon parla vaguement de ses alliances, mit en relief ses intentions pacifiques, se frappa sur le ventre en s’écriant : « Est-on gros comme moi quand on a de l’ambition ? », puis, au milieu d’éloges et d’embrassades, sans proscrire absolument l’éventualité d’une guerre, il donna à Rapp le commandement de l’armée du Rhin, disant qu’il traiterait avec la Prusse et la Russie, et ajoutant : « J’espère que, d’ici un mois, lu recevras ma femme et mon fils à Strasbourg. »   Le 29 mars 1815, l’Empereur revit Rapp, qui lui objecta la faiblesse numérique de son corps d’armée, alors que la Déclaration du 13 mars « nous menaçait d’un déluge de soldats ». Napoléon repartit avec humeur que cette Déclaration était ,fausse, qu’elle avait été « fabriquée à Paris », mais son langage indiquait, cette fois, la vraisemblance d’une guerre et l’extrême difficulté de négocier 1.Le général Foy appelait  un problème » la révolution du 20 mars, et ne se dissimulait pas que l’Europe « allait se conjurer » contre Napoléon .Le colonel d’artillerie Noël, apprenant l’entrée de Napoléon à Paris et le départ du Roi, concluait de ces deux faits à « une guerre d’invasion ». Les illusions sur l’Autriche persistaient dans les départements. A la fin de mars les habitants de Mulhouse « paraissent persuadés que l’empereur d’Autriche est d’accord avec l’empereur de France, et que, dans tous les cas, il ne nous fera pas la guerre ». A Metz, à Sarrebruck, le retour de Marie-Louise est considéré comme très prochain, bien que son voyage, dit-on, ait été interrompu. Malgré ces espérances se répandait la persuasion que les puissances étrangères et la France entreraient encore une fois en lutte. A Recey-sur-Ource, en Côte-d’Or, le maire, devant ses administrés, interprète la Déclaration du 13 mars comme le signal d’une guerre prochaine. A Lille la présence du maréchal Ney, le 26 mars, donne à penser qu’il « précède un corps d’armée qui se portera sans doute sur le Brabant». Des alarmistes publient à Calais que « tous les vaisseaux anglais sont sortis des ports pour fondre sur notre marine marchande, comme après le traité d’Amiens ». La proximité et l’accroissement des troupes alliées jettent de l’anxiété dans les départements du Nord et du Mont- Blanc. A Metz,  la haine contre Prussiens et Russes est portée « au plus haut degré », et, autour de Metz, « le peuple des campagnes est disposé à se battre jusqu’à la mort si la guerre recommence. Les résolutions du gouvernement impérial attestaient elles-mêmes que la paix ne durerait pas. Le 28 mars Napoléon ordonnait que tous les sous-officiers et soldats absents de leurs corps « par quelque raison que ce soit » les rejoindraient sans délai pour t courir à la défense de la patrie ». Simultanément il créait de nouveaux régiments, augmentait le personnel des manufactures d’armes, prohibait l’exportation des armes à feu. Carnot, en outre, était chargé de l’organisation des gardes nationales, qui, commencée dès la fin de mars, fut réglée par deux décrets du 10 avril. Activité militaire d’autant plus significative que l’Europe, unie contre la France par le traité du 25 mars, refusait de recevoir courriers diplomatiques et émissaires, et que déjà les royalistes, préludant à l’entrée en campagne des Alliés, s’insurgeaient «contre l’Empereur. »

(Emile LE GALLO, « Les Cent-Jours. Essai sur l’histoire intérieure de la France  depuis le retour de l’île d’Elbe jusqu’à la nouvelle de Waterloo », Librairie Félix Alcan, 1923, pp.134-139).

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