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L’administration après le retour de l’Empereur aux affaires…

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« L’administration était inerte ou hostile. Le roi avait conservé la moitié des préfets et des sous-préfets de l’empire ; mais leur zèle pour Napoléon, qui avait faibli dès 1813, ne s’était pas ranimé au retour de l’île d’Elbe. Quant aux fonctionnaires nommés par Louis XVIII, quelques-uns seulement remirent leur démission après le 20 mars; les autres, quoique restant à leur poste, étaient plus disposés à trahir qu’à bien servir le gouvernement usurpateur. Dans toutes les provinces s’élevaient contre eux les plaintes et les accusations. Les généraux employés dans les différentes divisions militaires réclamèrent le remplacement immédiat de tous les préfets et sous-préfets Et ce n’était pas là un complot des traîneurs de sabre contre l’autorité civile, puisque de simples particuliers firent parvenir aux Tuileries et au ministère de l’intérieur les mêmes avis et les mêmes doléances. « Les administrations civiles sont gangrenées, lit-on dans une lettre de Bonanay à Carnot. Tous les mérites de l’empereur, l’enthousiasme des citoyens, son retour glorieux dans la capitale après un trajet rapide de deux-cent-vingt lieues où il a été suivi par les acclamations de la multitude, rien ne fera si l’on ne change les préfets, les secrétaires généraux, les sous-préfets, les maires, les adjoints, les commis, les employés de toute sorte ». L’empereur, qui dans le parcours de Cannes à Paris avait déjà prononcé plusieurs révocations, pressait son ministre de l’intérieur de faire une exécution générale. Carnot comprenait aussi bien que Napoléon la nécessité d’un changement complet, mais il voulait y procéder graduellement « de peur d’arrêter le mécanisme administratif ». Le 6 avril seulement, la liste des préfets fut définitivement arrêtée. Des 87 préfets que le précédent gouvernement avait nommés ou conservés, 61 furent révoqués, 22 maintenus ou déplacés . Gamot [beau-frère du maréchal Ney] resta à Auxerre, Plancy à Melun, Girardin à Rouen; Rambuteau passa de la Loire dans l’Allier, Lameth de la Somme dans la Haute-Garonne, Bessières de l’Aveyron dans l’Ardèche. De nombreuses nominations de sous-préfets suivirent celles des préfets. Mais parmi ces nouveaux fonctionnaires, plusieurs mirent peu d’empressement à rejoindre leur poste. Les plus zélés eux-mêmes, comme Harel nommé préfet des Landes, durent compter avec la lenteur dès moyens de locomotion. La plupart d’entre eux n’entrèrent vraiment en fonctions que du 10 au 20 avril 1815. Ainsi, pendant près d’un mois, l’administration était restée aux mains d’un personnel secrètement ou ouvertement hostile à l’empire. En outre, les choix de Carnot ne furent pas tous bons. On nomma des incapables, des maladroits, des gens sans expérience. On destitua des préfets que l’on aurait pu conserver et l’on en garda qu’il eut fallu révoquer, nommément le préfet d’Ille-et-Vilaine qui avait quitté Rennes le 22 mars pour ne pas assister à la proclamation de l’empire, et le préfet du Tarn qui, sur les ordres de Vitrolles, venait de dresser une liste de proscription contre les bonapartistes1. Parmi les fonctionnaires nommés ou maintenus par Carnot, les préfets de Lyon et de Marseille n’ont ni énergie, ni fermeté. Le préfet de Niort fréquente les royalistes sous prétexte « qu’il veut les faire causer » ; le préfet de Bordeaux fait obstacle à tout ce qu’ordonne Clausel; le préfet de Caen entrave l’organisation des fédérés. Le sous-préfet de Senlis refuse de signer l’Adresse des habitants à l’empereur ; celui de Lisieux donne l’ordre d’enlever du clocher le drapeau tricolore, « dans la crainte d’exciter des troubles » ; celui de Rocroi, place frontière, montre de telles dispositions que Vandamme le destitue de sa propre autorité ; celui de Nogent-le-Rotrou fait afficher sous le porche de l’église une proclamation de Louis XVIII. Pendant tout le règne, ce furent de nouvelles destitutions, de nouveaux changements, un chassé-croisé incessant de préfets et de sous-préfets3. Et le 18 juin 1815 encore, le jour de Waterloo, un habitant de l’Aisne écrivait à Carnot: « Le gouvernement veut-il se maintenir ou veut-il remettre les rênes de l’Etat à Louis XVIII? S’il veut se maintenir pourquoi l’administration continue-t-elle à être dans les mains des agents des Bourbons ? » Les préfets étaient mauvais. Les maires étaient pires. Sauf dans l’Est de la France, presque tous étaient d’anciens seigneurs de village émigrés que l’empereur, toujours trop jaloux de rallier à lui la vieille noblesse, avait nommés de 1809 à 1812. Le retour miraculeux des Bourbons, auxquels ils ne pensaient plus guère, avait ranimé leur foi royaliste en même temps qu’il leur avait donné de douces espérances de biens restitués et de privilèges reconquis. La restauration de l’empereur les réveillait de ce rêve. Le dépit et la colère les enflammèrent contre cet intrus, et ils le combattirent sourdement ou ouvertement avec les armes redoutables que lui-même leur avait jadis si légèrement confiées. « Les divers rapports des départements, écrit le 30 mars Fouché à Carnot, s’accordent à me signaler les maires, qui sont la plupart des anciens seigneurs, comme un des principaux obstacles au retour de l’ordre ». Le 15 avril, il écrit de nouveau: « Il m’arrive d’une inimitié de points des plaintes graves contre le mauvais esprit des maires Ils terrifient les bons citoyens, arrêtent l’élan des Français et accréditent les nouvelles désastreuses et les bruits sinistres. » Le 20 avril, Davout s’adresse à l’empereur lui-même: « Tous les rapports expriment la même opinion sur la tiédeur et le mauvais esprit des maires, la plupart pris dans la classe des anciens nobles.»

Dès le 27 mars 1815, Carnot avait autorisé les préfets à suspendre les maires mal intentionnés. Les préfets de Louis XVIII étaient encore, pour la plupart, à la tête des départements. Ils s’abstinrent naturellement d’user des pouvoirs que leur conférait le ministre. Dans la seconde quinzaine d’avril seulement, leurs remplaçants prononcèrent quelques suspensions. Il fallait une mesure générale. Aux termes d’un décret, rendu le 20 avril, tous les maires et adjoints durent cesser leurs fonctions à l’arrivée, dans les départements, des commissaires extraordinaires chargés de procéder au renouvellement des municipalités. Mais sous l’influence des idées libérales régnantes, l’empereur se ravisa. On lui avait persuadé que l’opinion publique réclamait l’élection des maires par les communes. Le 30 avril donc, nouveau décret qui annule le précédent et porte que dans toutes les communes au-dessous de 5,000 âmes, les maires seront élus par les citoyens actifs composant les assemblées primaires. A peine le décret est-il publié qu’arrivent de tous côtés les observations les mieux fondées et les prédictions les plus alarmantes. On représente que les maires en fonctions, qui depuis cinq ou six ans se sont fait de nombreuses créatures et qui ont pour eux les fermiers, les employés, les fournisseurs, seront réélus en grande majorité, d’autant que beaucoup des plus ardents partisans de, l’empereur, ouvriers et tâcherons, ne seront point admis à voter faute d’être portés au rôle. On demande l’annulation du décret du 30 avril, on pro pose que du moins les ci-devant nobles soient déclarés inéligibles ou encore que la possession de domaines nationaux devienne une condition d’éligibilité1. Ces objections sont trop tardives. L’empereur a pu rapporter une mesure autoritaire, il n’ose point revenir sur une mesure démocratique. Les élections municipales eurent lieu au mois de mai et donnèrent les résultats prédits. Les deux tiers des anciens maires que le gouvernement espérait voir remplacés furent-réélus. Or, comme l’écrivait le général Lucotte, commandant à Périgueux, tout dépendait des maires : contributions, départ des rappelés, organisation des gardes nationales, élections, esprit public3. Pour se faire élire, quelques-uns avaient promis qu’aucun habitant de la commune n’aurait à payer un sou d’imposition ni à rejoindre l’armée. Ils tinrent parole. Forts des suffrages de leurs concitoyens, ils bravaient préfets, généraux, commandants de gendarmerie. Celui-ci ordonnait au bedeau de jeter bas, la nuit, le drapeau tricolore ; celui-là suspendait les poursuites contre les contribuables ; un troisième faisait arracher les affiches administratives aussitôt après les avoir fait poser. D’autres entravaient la mobilisation des gardes nationales, opposaient aux engagements volontaires des formalités insurmontables, refusaient le logement aux détachements de passage, cachaient chez eux les réfractaires, répandaient le bruit de l’assassinat de Napoléon. Un maire du Pas-de-Calais disait qu’il vaudrait bien mieux « marcher contre l’infâme tyran que contre les Alliés », et un maire d’Ille-et-Vilaine s’écriait en pleine place publique qu’au retour des Bourbons il n’aurait plus besoin de chevaux, car il ferait traîner sa voiture par des bonapartistes. Le roi émigré avait aussi des auxiliaires parmi les magistrats, les prêtres, les professeurs, les agents du fisc, les juges de paix, les employés subalternes de toutes les administrations. Le premier président et neuf conseillers de la cour de Rennes, la cour d’Aix tout entière, les tribunaux de Marmande, de Périgueux de Libourne, de Loudéac refusèrent le serment. La cour de Bordeaux se posa ce cas de conscience : « Pouvons-nous condamner ceux qui crient: Vive le roi ! Nous qui avons condamné, il y a un mois, ceux qui criaient : Vive l’empereur ! » Des juges de paix de l’Ouest se faisaient agents de guerre civile . Le 27 avril 1815, un conseiller à la cour de Nîmes entraîna les habitants de Saint- Gilles à une révolte qu’il fallut de l’infanterie et de la cavalerie pour maîtriser. Des fonctionnaires se montraient sans cocarde tricolore au chapeau. On négligeait de rétablir les aigles sur les bâtiments de l’Etat ; d’où ces réflexions des paysans et des ouvriers : « Il faut que l’administration elle-même ait bien peu de confiance dans la durée de l’empire !» Le proviseur de Lyon défendait aux élèves de crier: Vive l’empereur ! dans la cour du lycée. M. de Wailly agit de même au lycée Napoléon; il y eut de sévères punitions qui provoquèrent une révolte générale, et le grand-maître de l’Université donna raison au proviseur ! Un rapport du préfet de l’Hérault mentionne qu’un instituteur de Lodève a pris la fuite après avoir imprimé au fer rouge une fleur de lys sur le bras de plusieurs de ses écoliers. Ce bourreau d’enfants était bien digne du nom de « convulsionnaire royaliste » que les patriotes lorrains donnaient à leurs adversaires. »

(Henry HOUSSAYE, « 1815. La première Restauration.-Le retour de l’île d’Elbe.-Les Cent-Jours », Perrin et Cie, 1893, pp.500-507).

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