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Napoléon au printemps 1815.

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Napoléon 1er« A l’époque des Cent-Jours Napoléon est dans sa quarante-sixième année. Son visage est très pâle, les cheveux, « d’un brun cendré », se clairsèment sur les tempes et ont disparu au-dessus de la tète « tous ses traits avaient grossi, son corps avait pris une obésité qui alourdissait sa marche; ses mouvements étaient pesants, ses gestes, lents et sans vivacité » ». en juin, au moment de partir pour l’armée, il a « un teint verdâtre fortement prononcé», la bouche « contractée », le regard sans puissance, la physionomie nullement dominatrice . Sa poitrine était sensible, douloureuse, secouée de toux . L’Empereur souffrait de l’estomac, et son mal inspirait « de fâcheux augures »  au médecin Dubois . Il aimait somnoler, tout en combattant, dit-on, ce penchant par des quantités de plus en plus fortes du café. Sa santé mauvaise frappa Lucien. Tant d’indices affaiblissent notablement le témoignage de Fleury de Chaboulon, suivant lequel la santé de l’Empereur était demeurée vigoureuse: Napoléon continue de se lever de très bonne heure, avant six heures du matin, de fredonner parfois entre ses dents, de dicter en marchant . Il ne dédaigne pas de plaisanter. En déjeunant il interpelle Talma, l’un des assistants, en ces termes: « Eh! bien, Talma, on dit que c’est vous qui m’avez appris à me tenir sur mon trône; c’est une preuve que je m’y tiens bien » Il n’a point perdu l’art de sourire « de la manière la plus agréable ». Ingénieux à plaire, il goûte la soupe avec une cuiller chez les jeunes filles de la Légion d’honneur, au faubourg Saint-Antoine il entre dans les ateliers, se laisse baiser et serrer la main, toucher les vêtements par le populaire, il visite les vétérans des Invalides et, dit-on, donne des instructions dans cet établissement pour que le nombre des chemises par homme soit augmenté. Attentif à cultiver sa popularité, à stimuler ses partisans, à déjouer les manœuvres de ses adversaires, il sait utiliser avec sa dextérité coutumière le Moniteur, feuille excellemment machinée, au moyen de petits faits pittoresques, de narrations récréatives ou de généralisations fausses, pour accréditer l’idée d’une universelle cohésion des âmes françaises, l’illusion que tous les courages s’affermissaient au service de la cause impériale, et que la France entière se  confondait avec Napoléon. Napoléon a changé et il croit que le destin a changé pour lui, d’autant mieux qu’il constatait que « les amis de sa prospérité chancelaient ». On le devinait soucieux, inquiet. Molé, un jour de mai, le trouvait « abattu », et Benjamin Constant a pu surprendre en lui «je ne sais quelle insouciance sur son avenir, quel détachement de sa propre cause ». Il consulte, il écoute, « il flotte, il hésite ». Toujours sagace, il est devenu « plus circonspect » . Il suggère des objections à ses ministres, il les questionne, il s’habitue à la contradiction. Ce n’est plus le maître tout-puissant qui, avec une fougueuse confiance en soi, dictait des ordres « en style de consigne». Assurément, il est demeuré fort actif: l’étendue et la minutie de sa correspondance militaire, ses nombreux décrets, ses notes, ses apostilles, sa collaboration au Moniteur, ses harangues, ses conversations politiques, témoignent suffisamment d’un labeur encore intense et d’une vigilante application. Il n’en éprouve pas moins des accès de lassitude. Alors il mande Lavalette et cause avec lui «des heures entières». D’autres interlocuteurs, d’opinion plus indépendante, le distraient, en des entretiens très étrangers aux affaires urgentes L’Empereur est devenu plus méprisant envers la lâcheté, l’indifférence et la versatilité humaines. On sait son mot, à la fois profond et injuste, à Mollien, qui le félicitait de son retour : « Le temps des compliments est passé, ils m’ont laissé arriver comme ils ont laissé partir les autres ». Par intervalles, son humeur despotique se réveille, elle éclate en propos furibonds, en virulentes menaces contre ses adversaires. Napoléon est resté irascible, et, d’un premier mouvement, prompt à des représailles.

Témoin ces paroles à Fouché: « Savez-vous bien, monsieur Fouché, que ces royalistes, que ces jacobins, que ces républicains, que ces orléanistes et cette clique de conventionnels me déplaisent, et que je finirai par d porter encore le reste de cette canaille. Les Bourbons seront fusillés s’ils tombent sous ma main » Il se défend mal contre les émotions. Au moment où sa puissance intérieure succombe, à la veille d’une guerre inexorable, sa sensibilité s’accroît, comme si la conscience d’avoir perdu son omnipotence et le sentiment angoissant de son énorme tâche militaire l’eussent de concert amolli et énervé. Un matin Carnot le surprit contemplant en silence un portrait de l’Impératrice et de son fils : l’Empereur, le visage inondé de larmes, montra d’un geste le tableau au ministre, dont il serra « convulsivement » le bras. Il avait gardé à Berthier son ancienne affection, il en parlait avec un accent triste, mais disait que si Berthier reparaissait « il ne pourrait s’empêcher de lui tendre les bras », et une autre fois, en souriant, il tenait ce propos : « Je voudrais bien revoir Berthier en habit de capitaine des gardes de Louis XVIII ». Aussi la mort de Berthier l’affligea-t-elle singulièrement, jusqu’à contracter sa physionomie et à jeter dans son regard « quelque chose de sinistre ». La ruine de Murat l’ébranla avec violence, répandit dans son esprit un émoi superstitieux. Néanmoins Napoléon était en général calme, pensif, et il « conservait sans affectation une dignité sérieuse » Jusqu’à quel point Napoléon avait-il laissé entamer son naturel autoritaire, et n’aspirait-il pas à le reconquérir ?  En son âme fermentaient sans doute de vivaces regrets. Quand il s’interrogeait solitairement, il ne se sentait plus lui-même, ou plutôt. en une pensée orgueilleusement caressée, il songeait aux victoires qui le délivreraient de toute entrave et lui permettraient de « reforger son sceptre de quatorze années»

 (Emile LE GALLO, « Les Cent-Jours. Essai sur l’histoire intérieure de la France  depuis le retour de l’île d’Elbe jusqu’à la nouvelle de Waterloo », Librairie Félix Alcan, 1923, pp.252-256).

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