« Dans la soirée du 21 avril, la commission de constitution donna lecture de l’Acte additionnel aux ministres et aux conseillers d’Etat. L’article LXVI de la Charte avait aboli la confiscation. Dans l’Acte additionnel, le mot de confiscation n’était pas prononcé, mais par cela même, il semblait que cette peine fût implicitement maintenue. L’assemblée du conseil d’Etat s’en émut jusqu’à l’indignation, et malgré l’heure tardive elle demanda presque d’une seule voix aux commissaires de porter sur-le-champ à l’Empereur ses pressantes prières et ses respectueuses remontrances. Aux premiers mots, Napoléon éclata. « — On me pousse, s’écria-t-il, dans une voie qui n’est pas la mienne. On m’affaiblit, on m’enchaîne. La France me cherche et ne me trouve plus. L’opinion était excellente, elle est exécrable. La France se demande ce qu’est devenu le vieux bras de l’Empereur, ce bras dont elle a besoin pour dompter l’Europe. Que me parle-t-on de bonté, de justice abstraite, de lois naturelles ! La première loi, c’est la nécessité; la première justice, c’est le salut public.
On veut que des hommes que j’ai comblés de biens s’en servent pour conspirer contre moi à l’étranger. Cela ne peut pas être, cela ne sera pas. Quand la paix sera faite, nous verrons. A chaque jour sa peine, à chaque circonstance sa loi, à chacun sa nature. La mienne n’est pas d’être un ange. Messieurs, je le répète, il faut qu’on retrouve, il faut qu’on revoie le vieux bras de l’Empereur. » Il s’était levé et ses yeux lançaient des flammes. « C’est la seule fois, dit Benjamin Constant, où il soit entré en révolte contre le joug constitutionnel qu’on voulait lui imposer. » La résolution de Napoléon paraissait invincible. Les commissaires se turent, redoutant, s’ils le poussaient à bout, de le voir déchirer la constitution et montrer ce « vieux bras de l’Empereur » qu’il venait d’évoquer.
Des ministres et des conseillers d’Etat, nommément Fouché, Caulaincourt, Decrès, avaient demandé que l’Acte additionnel fût soumis article par article à la discussion des mandataires des collèges électoraux et non présenté dans son ensemble à l’acceptation du peuple, ce mode de votation étant illusoire. Mais l’Empereur n’avait souffert de donner une constitution libérale que pour éviter la réunion d’une assemblée. Vingt-quatre heures après sa dernière conférence avec la commission de constitution, il fit publier l’Acte additionnel dans le Moniteur. Le même jour parut un décret portant que les Français étaient appelés à consigner leur vote sur des registres ouverts dans toutes les communes, et que le dépouillement aurait lieu à l’assemblée du Champ de Mai convoquée à Paris pour le 26 mai 1815. […] Napoléon a écrit à Sainte-Hélène : « La publication de l’Acte additionnel déjoua toutes les factions ; l’esprit public prit une direction nationale.» Rien n’est plus faux. Mais il ne faut pas croire davantage les auteurs de Mémoires et les historiens qui expliquent par l’Acte additionnel l’affaiblissement de l’opinion jusque-là très prononcée pour l’Empereur. La vérité, c’est que chez les sept dixièmes des Français, la nouvelle constitution produisit fort peu d’impression : l’indifférence fut le sentiment dominant. La vérité, c’est que les inquiétudes, l’agitation, les cris séditieux, les troubles furent les mêmes avant et après cette publication ; c’est que l’enthousiasme populaire, si fort et si sincère au mois de mars, commença à décroître dès la première semaine d’avril, et qu’il faut attribuer ce revirement presque subit de l’opinion, non point à l’Acte additionnel, mais aux menaces de l’étranger, aux craintes de guerre, aux manœuvres des royalistes, aux menées du clergé, à l’hostilité ouverte des maires, aux mesures que l’on prit, d’après les ordres de l’empereur lui-même, pour calmer l’effervescence révolutionnaire, enfin au manque de confiance et par conséquent d’énergie de tout le personnel administratif. »
(Henry HOUSSAYE, « 1815. La première Restauration.-Le retour de l’ile d’Elbe.-Les Cent-Jours », Perrin et Cie, 1893, pp.544-552)