Cette scène se situe à Paris, en avril ou mai 1815.
« Un soir, j’étais au café Montansier; un officier qui depuis longtemps s’y était fait remarquer par une voix charmante, après avoir chanté des couplets patriotiques du haut de la scène, comme à l’ordinaire, s’adressa aux spectateurs , et leur dit d’un ton ému: « Messieurs, c’est peut-être la dernière fois que je vous adresse la parole; mon régiment part demain; recevez donc mes adieux, je vais combattre pour la patrie et la liberté. » Puis se détournant vers le buste de l’Empereur, il ajouta avec fierté: « Il sera avec nous ! » Un mouvement d’attendrissement général accueillit ces simples paroles de ce jeune homme.
Chaque soir la même scène se renouvelait; personne ne voulait partir pour la frontière sans s’en montrer heureux et fier. Un autre soir, je fus encore témoin au Palais-Royal d’une scène qui fit la plus vive impression sur les promeneurs. La Rotonde était entièrement remplie par un corps d’officiers de dragons à revers jaune, dont je ne vis pas le numéro. Un immense bol de punch flambait sur une table au milieu de l’enceinte; les officiers étaient tous rangés debout à l’entour. Au moment de le souffler, un capitaine tire le sabre, ses camarades l’imitent; et tous ensemble, étendant le bras et joignant leurs lames nues sur la flamme vacillante du punch, firent un serment que nous n’entendîmes point, mais qui sans doute ajouta plus d’une tombe aux champs de Waterloo !
Tandis qu’un si noble dévouement animait l’armée pour la défense du territoire, les partisans des exilés de Gand redoublaient d’efforts pour le paralyser. Les brochures pleuvaient sous les portes cochères pour annoncer l’entrée de l’étranger et l’inutilité de lui résister. Mais ces moyens n’étant que d’un faible secours pour l’ennemi qu’ils appelaient de tous leurs vœux, ils imaginèrent un moyen plus efficace de lui ouvrir les portes de Paris. »
(E. LABRETONNIERE: « Macédoine. Souvenirs du Quartier Latin dédiés à la jeunesse des écoles. Paris à la chute de l’Empire et durant les Cent-Jours », Lucien Marpon, Libraire-éditeur,1863, pp.251-252). L’auteur était étudiant à Paris, à cette époque.