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14 mai 1815…

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« Dimanche dernier, 14 mai [1815], un corps d’ouvriers des faubourgs de St.-Antoine et de St.-Marceau , représentant une fédération qui s’était formée depuis quelques jours dans ces faubourgs au nombre de trente mille hommes, a défilé aux Tuileries devant l’Empereur. Le but exprès de cette association était de former un corps de tirailleurs pour se battre en avant de la garde nationale , si l’ennemi se présentait devant la capitale : ils demandent des armes avec lesquelles ils promettent de garantir Paris contre le retour des alliés. Le nombre de ceux qui étaient rangés en bataille dans la cour des Tuileries et qui défilèrent devant Napoléon, avant la revue de quelques régiments de la ligne et de la jeune garde, était de douze mille; ils avaient demandé à être présentés, mais ils n’avaient fait aucun préparatif pour paraître devant l’Empereur , la plupart avaient leurs habits de travail et des casquettes sur la tête ; malgré cela, lorsqu’ils se mirent à manœuvrer , ils conservèrent si bien leurs rangs, et mirent tant d’ordre dans la marche, que dans tout autre pays on les aurait pris pour de vieux soldats. Aussi un grand nombre d’entre eux avait déjà servi. Ce mouvement des faubourgs fait l’envie de la garde nationale de Paris; qui est plus portée pour la paix, et dont le plus grand nombre pense plutôt à la conservation de leurs boutiques qua la gloire et à l’intégrité de la France. Il a paru une brochure sur la nécessité de réorganiser cette garde. Les hommes timorés commencent à lever les épaules j et je vois que même le Journal de l’Empire dit que leurs cris de « Vive l’Empereur ! » se lient à d’autres qui rappellent les époques trop fameuses de la révolution, et qu’ils regrettent de ne plus entendre. Quant à moi, je n’ai entendu que « Vive la liberté, vive la Nation ! »-, mais un de mes amis a entendu « A bas les royalistes, à bas la canaille ! » Le 17, une Fédération parisienne a été organisée sur le même pied que celle des faubourgs, mais il n’y a pas eu de présentation de ces volontaires. On assure que ces fédérations n’ont pas pris naissance chez les amis de la cour; il est certain que, soit par la crainte des excès , soit par d’autres motifs, il n’a pas encore été fait de distribution d’armes gratuitement ; car ceux, qui vont en demander aux dépôts paient 19 francs pour chaque fusil. Cependant on a commencé l’organisation des volontaires tirailleurs de la garde , et des officiers de la ligne doivent les commander. Les départements ont suivi l’exemple de Paris, particulièrement la Bourgogne et la Bretagne , où la fédération doit servir de contrepoids au royalisme d’une partie de ces provinces. Dans toutes les proclamations et les adresses de ces corps, les mots de PATRIE et de LIBERTÉ servent de point de ralliement et précèdent toujours le nom de l’Empereur, dont les droits sont établis sur sa qualité de héros national. Le Gouvernement est embarrassé sur la conduite qu’il doit tenir relativement à ces mouvements, qu’il ne peut pas encourager entièrement, quoique le moindre soupçon qu’on les voie avec méfiance ne laisserait plus à l’Empereur d’autre ressource que le sabre de sa garde. En conséquence y on a pris tous les soins possibles pour donner une forme et une organisation militaire à ces levées volontaires qui ont mis l’Empereur en état de se créer des moyens de défense pour son trône sous toutes les dénominations de force armée qu’il soit possible d’employer , tels que partisans, corps francs, bataillons légers, volontaires et garde nationale mobile. Il n’y a que l’esprit national qui ait pu mettre le Gouvernement à même de prendre une mesure telle que celle de rappeler sous leurs drapeaux tous les anciens soldats congédiés par le Roi, et de les faire rejoindre avec joie. Tous les jours de forts détachements traversent Paris en chantant la Marseillaise et autres chansons patriotiques. Ils sont vêtus simplement, mais leurs visages brunis par le soleil et leurs moustaches indiquent assez leur ancien métier. La campagne s’ouvrira avec au moins trois cent mille hommes de troupes réglées , si l’on attend encore un mois; et cependant, d’après Je rapport que le duc de Feltre a fait à nos ministres, l’armée française, à la fuite du Roi, n’était forte que de 84,000 hommes. Au 2 mai, on avait formé huit armées ou corps d’observation. Ces efforts paraîtront moins extraordinaires à ceux qui se rappellent qu’en 1793 il y avait 14 armées en campagne. Quatre cents bataillons sur 500 de la garde nationale mobile sont mis en campagne, et tous les préparatifs sont faits pour l’organisation de la lev ée en masse en Lorraine , en Alsace, en Franche- Comté, en Bourgogne, en Dauphiné, en Picardie et dans le Lyonnais; l’enrôlement de la garde nationale mobile est une mesure qui serait absolument impossible si le Gouvernement et le peuple n’étaient pas unis. Dans des communes qui ne fournissaient que huit conscrits ( comme Malmaison par exemple ), soixante se sont présentés, et dans une autre commune voisine, quarante ont marché au lieu de cinq. Le préfet demande au maire la liste de tous les habitants âgés de 20 à 40 ans, et s’ils sont célibataires ou mariés, avec ou sans enfants; et lorsqu’il l’a reçue , il ordonne qu’un certain nombre de chaque classe soit mis à la discrétion du magistrat qui fait et notifie le choix d’un seul coup. Trois des jardiniers du château impérial de Malmaison sont -partis une heure après avoir été prévenus. Les recrues ne montrent aucune répugnance; s’il y en avait, cette manière de recruter une armée serait impraticable, ou plutôt je me servirai d’un paradoxe, en disant que cette mesure est si arbitraire qu’elle ne peut venir que du peuple. L’Empereur est aujourd’hui l’homme du peuple ; le peuple est à la tête du ministère; le peuple compose son armée; la cause est celle du peuple; et enfin c’est contre le peuple plus que contre Napoléon que les alliés prennent aujourd’hui les armes, et surtout notre grand homme lord Castlereagh, qui, à ce que je vois, a eu l’extrême candeur d’avouer, dans son discours du  avril, que son intention a été depuis longtemps de rétablir l’Europe dans cet ancien système social que les dernières convulsions avaient renversé. Quand on professe de tels principes, on peut être cru, fût-on même un lord Castlereagh. L’ancien système social de l’Europe ! Vraiment on a autant de respect pour ces mots, soit ensemble, soit séparément, que pour le saint Empire romain, quoiqu’il ne soit ni ancien, ni social, ni un système. L’état de choses que Sa Seigneurie voudrait rétablir, ne pouvant s’adapter aux divisions politiques du continent, mais bien aux relations entre les individus, ne peut être autre chose que l’invention, moderne en comparaison, qui suivit immédiatement le système féodal, et en vertu duquel on apprend à toute une nation à regarder un seul individu comme la source de tout honneur, de la puissance, de la loi et du Gouvernement , tandis que les dignités de la noblesse ne sont que le marchepied du monarque ; tandis que toute la législation se réduit à déclarer sa volonté , et que toute justice dépend de ses décisions. Enfin, ce ne peut être autre chose qu’une monarchie absolue, qui répugne aux institutions et aux mœurs nationales des ancêtres du peuple moderne de la chrétienté, que tant de souverains, en opposant les diverses classes de leurs sujets les unes aux autres , avaient réussi par degrés à établir, mais que l’esprit philosophique du siècle était parvenu à miner, et qu’il finira par ruiner en. dépit des obstacles causés par les excès intérieurs et extérieurs de la France républicaine et impériale. Nous sommes habitués depuis long temps à entendre déclamer contre l’ancienne tyrannie de Napoléon, et c’est avec justice; mais nous oublions que les circonstances de son élévation et de celle des hommes qui ont contribué à la force et à la splendeur de la cour impériale ont dû naturellement se présenter à tous les Français lorsqu’ils contemplèrent l’usurpateur, et les confirmer dans les notions qu’ils avaient de la puissance, des efforts individuels et de l’égalité primitive de l’homme. Nous oublions que ces notions doivent nécessairement survivre aux prétentions de Napoléon, et même leur être fatales : et cette perversité de jugement, ou ce manque d’attentions, peut faire craindre aux libéraux de chez nous qu’en ce moment un esprit de turbulence et de mécontentement, et un penchant pour le changement, ne produisent ces efforts que, sans l’expérience de notre propre temps, nous  aurions pu prendre à tort pour les effets d’un véritable amour de la liberté. »

 

(J. HOBHOUSE, « Histoire des Cent-Jours ou Dernier règne de l’empereur Napoléon. Lettres écrites de paris depuis le 8 avril 1815 jusqu’au 20 juillet de la même année. », Paris, chez Domère, Libraire, 1819, pp.191-197)

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