« Aucun souverain ne doit souffrir qu’on attente à son autorité : tant que Napoléon est sur le trône, tout effort en faveur de la dynastie déchue est une offense nationale, punissable selon les lois rendues contre la trahison. C’est dans ce sens qu’il faut considérer le décret du 10 de ce mois, et je suis étonné que l’on puisse regarder cette mesure comme arbitraire. Si Napoléon doit régner tout acte pour le détrôner doit être réprimé. On convient que la détermination de tous les alliés de détrôner Napoléon a mis en campagne la petite minorité en France qui a lé même but; et ces symptômes de mécontentement, que dans un meilleur temps le Gouvernement aurait méprisés, doivent être comprimés. Rappeler aux révoltés que les lois contre leurs tentatives sont encore en force, c’est plutôt un acte de clémence qu’un acte de rigueur; c’est conseiller de s’amender et différer de punir. La prochaine réunion de la Chambre des Représentants empêchera l’exercice de tout pouvoir illégal, ou l’application de tout châtiment injuste. Que M. de Kergorlay appelle le décret du 10 [avril 1815] le renouvellement du terrorisme , c’est fort bien, parce qu’un bourbonniste décidé doit faire tout son possible pour rendre le gouvernement impérial odieux, s’il ne peut pas persuader qu’il est ridicule ; mais l’homme impartial doit croire qu’il est permis de sévir contre des séditieux, d’envoyer une armée dans la Vendée, et d’empêcher les royalistes de marcher sur Paris et d’égorger tous ceux qui portent la cocarde tricolore. Les journaux anglais parlent de nombreuses arrestations et de violences faites ici. Tout cela est faux, comme à l’ordinaire et l’on ne fait courir ces bruits que pour engager les peuples dans une guerre contre Napoléon, comme s’il était l’ennemi acharné de la liberté. Au commencement du retour de Napoléon, les constitutionnels étaient regardés comme un corps séparé des napoléonistes, et surtout à l’époque du mécontentement causé par la publication de la constitution, lorsque des bruits tendaient à faire croire que l’Angleterre voulait rester en paix. On disait alors qu’on ferait un sacrifice pour calmer les craintes de l’Europe, et qu’un changement de Gouvernement aurai t lieu, dans lequel Carnot ou Fouché serait déclaré président de la République, et Napoléon généralissime des armées. Ce même bruit fut accrédité lors de la marche de l’Empereur sur Paris , pour apaiser les citoyens les plus braves et les plus puissants de la capitale. Un passage du rapport de Caulaincourt à l’Empereur, dans lequel il donnait à entendre que l’intervention des étrangers pourrait les empêcher de régler leurs affaires intérieures, fit naître le soupçon qu’on pourrait commencer la guerre pour excuser la nécessité de donner une constitution libre à la France. Mais l’entêtement de l’Angleterre à poursuivre cette injuste agression, et la franchise avec laquelle l’Empereur s’est jeté dans les bras des Français, a écouté leur voix, et a identifié leurs intérêts avec les siens par la convocation de la Chambre des Représentants, a décidé à faire prendre un rôle dans cette lutte à ceux que nous nommons les jacobins [les libéraux], c’est-à-dire aux quatre cinquièmes de la population de France, qui sont déterminés à soutenir le choc des nations par un effort désespéré, et à essayer les chances de la liberté sous Napoléon. En conséquence, quoique le bonnet de la liberté ne soit pas arboré, l’aigle le remplace; la Garde impériale marche au son de la « Marseillaise »; et l’on m’a fait remarquer l’autre jour aux Tuileries que, pour la première fois depuis l’enfance de la République, les troupes passèrent la revue pendant qu’on jouait le fameux « Ça ira ! » Toutes les machines sont mises en jeu: le théâtre Montansier est transformé en un café: on amis des tables et des chaises dans le parterre, tandis que les loges sont toutes réunies en une seule. Sur le théâtre est un piédestal, au milieu d’un bosquet d’arbustes naturel , sur lequel est placé le buste de l’Empereur couronné de lauriers. Cet endroit est rempli tous les soirs au-delà de toute expression-, el cependant il n’y a pas d’autre divertissement que des chansons que l’on chante à la louange de Napoléon et de la liberté. Je me rappelle que l’une d’elles a pour sujet la Farce de l’an dernier qui avait fait donner à l’Empereur le nom de Nicolas. La licence d e ce rapprochement montre que le Napoléon de 1815 n’est pas celui de 1812. Le chansonnier monte du parterre sur le théâtre par un escalier, de chaque côté duquel est un gendarme, et il chante sur la scène. L’entrée du salon est gardée par des militaires , qui règlent la proportion de ceux qui entrent d’après ceux qui sortent : et il ne faut pas attribuer cette assistance de la force armée à aucune innovation de la part de Napoléon, mais c’est la continuation du vieux système français sous lequel les lois n’ayant malheureusement pas assez de force, la police -et les autres agents de la justice ne commandaient pas le respect. Les chansons de Montansier respirent le plus ardent amour -de la liberté : non-seulement –elles déclarent que la France a le droit d’être libre, mais elles engagent les autres nations à suivre son exemple.
Si les peuples du continent,
Marchaient sur la patrie,
La guerre, c’est mon sentiment,
Serait bientôt finie.
Nous voyant libres, ils diraient:
Vivent les Francs! la France!
Et tout bas,ils ajouteraient :
Pour nous quelle espérance!
Princes du Nord, dansons en rond,
Et soyez tous tranquilles,
Ou vos soldats embrasseront
Nos phalanges mobiles.
Attaquez, et la liberté
Ira de fibre en fibre!
Votre système rejeté,
Le monde sera libre.
Je ne vous demande pas d’admirer ces vers, mais seulement d’en remarquer les sentiments. »
(J. HOBHOUSE, « Histoire des Cent-Jours ou Dernier règne de l’empereur Napoléon. Lettres écrites de paris depuis le 8 avril 1815 jusqu’au 20 juillet de la même année. », Paris, chez Domère, Libraire, 1819, pp.187-191). Lettre portant la mention : « Paris, 19 mai 1815 ».