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Une visite au Corps législatif…

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Corps Législatif

« Paris, 10 juin 1815.

Mercredi à deux heures, un autre Anglais et moi nous nous rendîmes au palais du Corps-législatif; avec beaucoup de peine, nous parvînmes à nous placer dans les tribunes de la chambre des représentants, qui furent bientôt remplies de dames en grande toilette. Une tribune avait été préparée pour les dames de la cour; un trône était dressé sur une estrade dans la corniche circulaire, où se trouve le fauteuil du président, et sur les marches au-dessous étaient des bancs, ceux de la droite pour les ministres, et ceux de la gauche pour les maréchaux de l’Empire, Il y avait un fauteuil à la droite du trône, deux à la gauche et un tabouret derrière chacun. Les quatre rangées inférieures de sièges étaient réservées pour la Chambre des pairs, à l’exception d’un demi-cercle sur la gauche, réservé pour les conseillers d’état. Les députés remplissaient les places supérieures de l’estrade. Au bout d’une heure les pairs commencèrent à arriver, presque tous en uniforme et ayant le grand-cordon; les conseillers d’état se placèrent : et peu de temps après  la mère de Napoléon (désignée ordinairement sous le nom de Madame Mère, femme très-belle, ayant les traits réguliers et nobles, et paraissant jeune pour son âge) entra dans la galerie avec la princesse Hortense, et les duchesses de Bassano, de Rovigo et de Vicence. A quatre heures nous entendîmes le canon des Tuileries, et vingt minutes après celui qui était placé près du palais; en ce moment la porte à deux battants de l’estrade vis-à-vis du trône fut ouverte, et -vingt membres avec le président qui avaient été recevoir la cour, descendirent les marches, suivis des ministres d’état et des maréchaux, qui se placèrent près du trône ; après eux vinrent les chambellans et les pages, et enfin un huissier annonça, d’une voix forte : «  L’Empereur ! », et Napoléon parut. Il avait une toque et le manteau impérial. Il était accompagné des princes ses frères, des aides-de-camp et des maréchaux de service, avec les autres grands-officiers, au nombre desquels était le cardinal Cambacérès, grands  aumônier actuel, et le prince archichancelier son frère, ayant un manteau parsemé d’abeilles.

Toute l’assemblée se leva. Napoléon descendit jusqu’à l’estrade, et monta les marches de son trône au bruit des acclamations répétées ; il salua de tous les côtés et s’assit. Lucien se plaça à sa gauche; Joseph, roi d’Espagne, à sa droite le fauteuil de Jérôme, roi de Westphalie, était vacant, de même que les tabourets. Les princes avaient des robes blanches comme au Champ-de-Mai ; les aides-de-camp et les maréchaux étaient debout derrière le trône; toute rassemblée était encore debout, lorsque le grand-maître des cérémonies comte de Ségur prit les ordres de l’Empereur, puis s’écria : « L’Empereur vous invite à vous asseoir. » Chacun prit sa place; le président  Lanjuinais était assis en face du trône, ayant deux hérauts d’armes derrière lui. L’archichancelier s’étant avancé vers l’Empereur, l’informa que les membres des deux Chambres allaient prêter le serment d’obéissance à la constitution et de fidélité à l’Empereur. En conséquence les pairs furent appelés par leurs noms en commençant par le prince Joseph, qui, se levant, se tourna vers son frère, et étendant la main vers lui, prononça : « Je jure ! » ce qui fut répété par Lucien et par tous les pairs. Ce serment et celui des représentants qui suivit, durèrent longtemps. Plusieurs noms devaient réveiller certains souvenirs; mais la curiosité du public ne fut excitée que quand on appela La Fayette ; tous les yeux se levèrent, et Napoléon lui-même fixa le général. Pendant tout ce temps, Napoléon prenait des pastilles d’une petite boîte qu’il avait en main; il paraissait souffrir considérablement de la poitrine; il était réellement malade: à l’exception de quelques paroles qu’il adressa deux fois au prince Joseph, il ne dit pas un mot à ceux qui l’entouraient. Quand le serment fut prêté, il ajusta ses vêtements se tourna a gauche, ôta sa toque, salua l’assemblée, se recouvrit, et déroulant un papier, il commença son discours; son manteau l’embarrassant, il le rejeta en partie sur l’épaule gauche; sa voix était distincte et claire, mais un peu faible vers la fin de son discours; je n’en perdis pas un mot, et j’avoue que je rougis lorsque je lui entendis dire : « La frégate la Melpomène a été attaquée et prise dans la Méditerranée après un combat sanglant contre un vaisseau anglais de 74. Le sang a coulé pendant la paix. » La mention de ce seul fait me frappa, parce qu’elle indiquait quel était le chef et le principal moteur de la coalition, .et paraissait être le premier pas vers le système politique qui, lorsque la guerre sera commencée, doit nécessairement exaspérer la Nation contre nous. Je vous envoie ce discours, qui me paraît préférable à celui du Champ-de-Mai. Lorsqu’il prononça la dernière phrase : « La sainte cause de la patrie triomphera », il éleva la voix, et fit un geste de la main droite qui parut involontaire. Il se leva ensuite, salua l’assemblée, et sortit au bruit retentissant des acclamations qui durèrent depuis sa descente du trône jusqu’à ce qu’il fût à la porte, et l’obligèrent plusieurs fois de se tourner pour saluer l’assemblée; en montant précipitamment les marches de l’estrade, il paraissait très satisfait. »

(J. HOBHOUSE, « Histoire des Cent-Jours ou Dernier règne de l’Empereur Napoléon. Lettres écrites de Paris depuis le 8 avril 1815 jusqu’au 20 juillet de la même année. », Paris, chez Domère, Libraire, 1819, pp.350-353).

 

 

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