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19 juin 1815…

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Visuel 1815-2015

Le mamelouk Ali est resté près de l’Empereur au soir de la bataille de Waterloo:

« Dans le milieu de la journée du 19 [juin], nous arrivâmes à Philippeville. L’Empereur, extrêmement fatigué, non seulement de la longue route qu’il venait de faire à cheval, mais de la journée du 18 et du peu de sommeil de la nuit qui l’avait précédée, descendit dans une mauvaise auberge et se fit donner une chambre. Je le déshabillai à moitié et il se mit au lit pour chercher à prendre quelques repos. Il était fort triste et surtout très préoccupé. C’est dans cette ville de Philippeville que vint le rejoindre le duc de Bassano.

L’Empereur prit quelque peu de nourriture.

Sur le soir, on amena devant la porte de l’auberge deux espèces de calèches. Je mis dans le coffre de celle qui était destinée à l’Empereur une quinzaine ou vingtaine de tablettes d’or, contenant chacune une dizaine de rouleaux de mille francs, que m’avait fait remettre le duc de Bassano un moment avant. Les deux jumelles de l’Empereur furent mises dans la voiture de suite que devait accompagner le nommé Daussin, courrier.

L’heure du départ étant arrivée, des chevaux de poste furent attelés. La calèche ne pouvait contenir que deux personnes, et sur le devant il n’y avait pas de siège. Voulant suivre l’Empereur à quelque prix que ce fût, je me trouvai fort embarrassé. Comment aller ? La tablette derrière la voiture étant garnie de pointes de fer, je ne pouvais m’y asseoir. Je ne vis d’autre moyen que celui de me percher derrière, à la manière des valets de pied, en me tenant debout à l’aide des deux courroies qui étaient à la capote, et il n’y avait tout juste que la place de mes deux pieds sur la tablette. Comme nous étions dans les grands jours, j’espérais trouver aussitôt qu’il ferait clair quelque autre moyen plus agréable de voyager. L’Empereur et le grand-maréchal [Bertrand] montèrent en voiture ; moi je m’arrangeai comme je pus, et nous partîmes. L’autre voiture resta loin en arrière pour que nous eussions l’air de voyager isolément, et afin de ne pas attirer les yeux des curieux qui se trouveraient sur notre passage ou aux relais.

J’eus beaucoup à souffrir pendant tout ce voyage. A tout moment, je craignais que les courroies ne vinssent à se détacher ou à casser, et que je ne tombasse à la renverse, les pieds accrochés aux pointes de fer. La route, qui était peu unie, me fatigua horriblement. C’était beaucoup de temps à passer dans une position des plus gênantes. Je m’armai de courage, ayant toujours l’espérance de soulager ma misère à la première occasion.

Enfin l’Empereur s’arrêta à Laon, où il arriva dans la journée du 20, vers les deux ou trois heures. J’étais harassé. Comme on le pense bien, il ne m’avait pas été possible de fermer les yeux dans la position où j’avais dû rester pendant si longtemps.

Je ne me rappelle pas où l’Empereur descendit de voiture ; mais je sais que nous nous trouvâmes dans une cour d’auberge assez spacieuse, où l’Empereur resta quelques heures à se promener et à causer avec les principaux de la ville, tels que le préfet, le maire, des officiers de la Garde nationale et quelques autres personnes, tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre. Je me rappelle parfaitement que des officiers de la Garde lui montrèrent un grand dévouement par la chaleur qu’ils mettaient dans leur conversation, et par les expressions dont ils se servaient. Dans la cour, il y avait bon nombre de bourgeois, de paysans, qui, de temps en temps, laissaient échapper des cris de « Vive l’Empereur ! ». Chacun était sensible à la grande infortune de celui qui était, il y a peu de jours, à la tête d’une belle armée pleine d’enthousiasme, et qui aujourd’hui a tout perdu, hors l’honneur. Ces cris de « Vive l’Empereur ! » avaient quelque chose qui attristait l’âme.

L’intention de l’Empereur avait été d’abord de rester à Laon pour attendre les débris de son armée, les organiser et les joindre au corps du maréchal Grouchy ; mais, sentant que sa présence serait peut-être utile à Paris, il se détermina à se rendre dans la capitale.

Le préfet, qui avait vu notre piteux équipage, proposa sa voiture à l’Empereur qui l’accepta ; on alla la chercher. Elle était plus propre, plus commode que celle qui l’avait amené à Laon. Elle fut attelée et l’Empereur y monta avec le grand-maréchal, et moi sur le siège. Au départ, des cris répétés de « Vive l’Empereur ! » vinrent encore retentir à nos oreilles ; mais ceux qui les prononçaient comme ceux qui les entendaient avaient la tristesse dans le cœur et les larmes dans les yeux.

De bonne heure, le 21, nous arrivâmes à la barrière de Paris, où aboutit la route que nous venions de parcourir ; mais l’Empereur, ne voulant pas entrer par cette barrière, fit prendre à droite pour longer le mur d’enceinte jusqu’à la barrière du Roule. C’est par là que nous entrâmes dans Paris. Nous descendîmes la rue du Faubourg. Les boutiques, pour la plupart, étant encore fermées, nous pûmes arriver jusqu’à l’Elysée et y entrer, sans qu’on se doutât au dehors du retour de l’Empereur.

Une seule personne était dans la cour où elle se promenait : c’était le duc de Vicence [Caulaincourt]. Il courut au perron pour recevoir l’Empereur ; et l’un et l’autre, suivis du grand-maréchal, passèrent dans les appartements. Le silence de ces lieux à l’arrivée du maître me serra le cœur.

Dès que l’on connut dans Paris l’arrivée de l’Empereur à l’Elysée, quelques personnes, soit grandes, soit petites, vinrent reprendre leur service ; mais il n’y eut plus, comme précédemment, cette multitude d’allants et de venants ; l’Empereur, pour le plus grand nombre, ne fut plus qu’un homme ruiné et que l’on devait par conséquent abandonner. O Napoléon ! que tu as fait d’ingrats ! Mais le peuple, mais tes braves et valeureux soldats, mais de vrais amis te sont restés fidèles et dévoués. »

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