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Illusions, désillusions…

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Le jeune étudiant parisien Labretonnière, est de ceux qui ont placé tous leurs espoirs dans le retour de l’Empereur. Lui aussi attend des nouvelles du front. 

La confiance dans les armes françaises était extrême ; il nous semblait que cette superbe armée que Paris venait de voir partir, si pleine d’ardeur, devait être invincible ; aussi ce fut avec moins de surprise que de joie, que nous reçûmes la nouvelle du premier avantage remporté sur la coalition, sous les murs de Charleroi, le 15 juin. La lutte était enfin engagée !

Un dimanche matin, de très bonne heure, il me semblait, tout en sommeillant, entendre de sourdes détonations ; je me réveillai et écoutait attentivement.

— Hippolyte ! m’écriai-je, transporté, à l’ami qui dormait près de moi, entends-tu ?

— Quoi ! me dit-il en s’éveillant.

— Le canon tire aux Invalides : C’est une grande victoire !

Nous nous levons à l’instant et courons nous informer. Le canon célébrait effectivement la victoire remportée le 16, par l’Empereur, sur les Prussiens à Ligny. Transportés de joie, nous nous rendons au café des Pyrénées pour y lire le bulletin ; là, l’orgueil brillait dans tous les regards ; le canon des Invalides avait réveillé dans nos jeunes cœurs ces souvenirs de triomphe qui avaient bercé notre enfance ; nous étions ivres de fierté ; et c’était le 18 ! et le canon de Waterloo tonnait pendant ce temps-là ! Pour atténuer l’effet de la victoire, les royalistes répandaient les bruits les plus exagérés ; je me souviens de l’enthousiasme avec lequel un étudiant de Grenoble, nommé Rousseau, vint m’annoncer que Wellington était pris, Blücher tué, etc.

Enfin, un petit bulletin parut dans le Moniteur, annonçant très succinctement la bataille de Ligny. Cependant, deux jours s’étaient écoulés et pas une nouvelle de l’armée de Flandre n’avait été publiée dans cet intervalle. On se disait bien tout bas que nous avions essuyé une défaite, mais cela nous paraissait impossible.

Enfin, le 21 juin, en descendant dans la cour de l’hôtel, je vis presque tous les étudiants qui y demeuraient, dans une grande agitation et s’entretenant avec chaleur. Savez-vous la nouvelle ? me dit-on. On assure que l’armée a été anéantie et que l’Empereur est arrivé ce matin à Paris. En pareille circonstance, c’était toujours au café que nous allions nous mettre au courant ; la consternation y était sur tous les visages. Cependant, quelques personnes cherchaient à remonter le moral abattu des autres ; elles faisaient observer que ce n’était peut-être encore qu’une manœuvre des royalistes et qu’il était impossible que les affaires fussent assez désespérées pour que l’Empereur eût ainsi abandonné son armée. Elles oubliaient sans doute l’Egypte ; Moscou et Leipzig.

Je n’étais pas hommes à rester plus longtemps dans une aussi cruelle incertitude. Je courus, aussitôt après mon déjeuner, à la chambre des représentants. Une foule immense était entassée sur le grand escalier, et attendait que quelque chose transpirât de l’intérieur, où la séance venait de s’ouvrir dès 11 heures. Comme on le pense bien, les versions les plus contradictoires circulaient parmi tous ces politiques en plein vent ; un grand nombre révoquait même en doute l’arrivée de l’Empereur, prétendant qu’on confondait ; c’était sans doute, disaient-ils, le prince Jérôme qui était pris pour Napoléon. Effectivement, Jérôme avait été blessé à l’attaque de la ferme d’Hougoumont, et cette circonstance avait transpiré avant qu’on connût la défaite de Waterloo.

Pour savoir plus vite à quoi m’en tenir, je me rendis devant l’Elysée, que Napoléon avait choisi pour sa résidence d’été. Là, je vis un mouvement qui ne me permettant plus de douter de la présence du maître. La cour du palais était pleine de chevaux couverts de sueur et de poussière ; des aides de camp y arrivaient coup sur coup, paraissant harassés de fatigue ; quelques soldats de la cavalerie de la Garde impériale étaient tristement assis sur un banc, à la porte, pendant que les chevaux attendaient, attachés dans la cour. L’un des cavaliers avait la face bandée d’une cravate noire ; tout respirait dans cette scène la honte et la douleur.

Je retournai sur les degrés de la chambre des députés ; l’Empereur venait d’y envoyer un message pour lui annoncer le fatal résultat de la journée du 18.

Nous attendions avec une anxiété inexprimable que quelqu’un sortît de la salle pour nous apprendre ce qu’on y venait de dire. Enfin, un monsieur apparaît, et le pauvre diable est appréhendé au corps. Je ne sais si c’était lui qui avait mal saisi le sens du message, ou si le gouvernement avait déguisé à ce point la vérité ; mais il résultait seulement des réponses du sortant que l’armée, trompée par l’obscurité sur la fin de la bataille de Mont-Saint-Jean, avait été saisie d’une terreur panique et avait abandonné le champ de bataille dans un grand désordre. Du reste, l’Empereur annonçait qu’elle se ralliait sur la frontière ; il venait seulement demander à la Représentation nationale de vouloir bien lui donner les moyens de rétablir la lutte, commencée sous de malheureux auspices, mais facile encore à rendre formidable.

Le même jour, à 2 heures du soir [de l’après-midi], parut un supplément au Moniteur, qui donnait le bulletin de Mont-Saint-Jean ; car seulement après l’Angleterre, le nom de Waterloo succéda chez nous à celui-ci pour éterniser cette grande journée. Quelque funeste qu’elle fût pour les armes françaises, elle ne devint irréparable que par la faute commise par Napoléon en venant se confier à la chambre des représentants. Je me rappelle l’indignation générale qui se répandit dans tout Paris, quand il apprit que les deux chambres, non seulement refusaient de concourir au nouveau plan de campagne que venait leur proposer l’Empereur, mais qu’elles exigeaient son abdication et déclaraient traître à la patrie quiconque tenterait de les dissoudre.

A partir du jour de l’abdication de Napoléon, le retour des Bourbons ne fut un problème pour personne malgré les airs de nationalité et de résistance que prenait la Chambre des représentants. Le coup était porté.

Au lieu de prendre un parti vigoureux, de se déclarer pouvoir exécutif, et d’ordonner tous les actes qui pouvaient sauver d’abord l’indépendance du territoire, la Chambre nomma un gouvernement provisoire, et se mit paisiblement à discuter une constitution que devrait jurer le Prince appelé à régner sur la France. Or, il était assez naturel de commencer par proclamer ce nouveau chef, de le faire avec éclat et retentissement, et d’appeler aux armes la nation au nom de Napoléon II. Ce fut seulement pour la forme qu’eut lieu ce grand acte de souveraineté populaire.

La certitude de la prochaine issue des Cent-Jours avait rend à Paris sa physionomie aristocratique ; la joie était rentrée au cœur du faubourg Saint-Germain ; c’était un dimanche, et les Tuileries étaient pleines d’un société brillante. Je m’y promenais tristement avec un de mes anciens camarades de lycée, que je venais de rencontrer par hasard ; voilà bientôt Hippolyte qui arrive tout essoufflée de la Chambre, et nous annonce qu’elle vient de proclamer Napoléon II. Nous, de nous réjouir ; et Bordet, le camarade dont je viens de parler, de se moquer de nous. En qualité d’ex-garde de la porte, il était fort royaliste et nous apprit en riant que notre Napoléon II ne serait pas un grand obstacle à la rentrée du Roi, que nous verrions avant huit jours. Voilà, du reste, tout l’effet que produisit sur la capitale cet événement ; nulle cérémonie, nul apparat pour l’annoncer ; le pauvre petit roi de Rome vit sa royauté passer à la Chambre avec la même solennité qu’un amendement sur les tabacs ou la potasse.

Cependant, l’armée, désorganisée à Waterloo, s’était peu à peu ralliée ; le maréchal Grouchy venait d’accourir au secours de Paris avec un superbe corps d’armée de 34 000 hommes ; les corps détachés arrivaient à marches forcées, les Gardes nationales de la Bourgogne et de la Picardie avaient rejoint l’armée de ligne. Tous brûlaient de venger l’échec de Mont-Saint-Jean. Les fortifications élevées sur la rive droite de la Seine furent armées d’une manière imposante ; Montmartre, Belleville, Saint-Chaumont étaient devenus de véritables citadelles. Dans l’intervalle des forts, des batteries détachées et de petites redoutes étaient confiées à des artilleurs volontaires tirés des lycées et des écoles de droits et de médecine ; la capitale était donc couverte depuis Vincennes jusqu’à Neuilly. L’armée était campée dans la plaine, attendant l’ennemi de pied ferme.

Pauvres laboureurs ! quel cas on faisait de ce qui vous avait coûté tant de travaux et de sueurs ! J’allais un soir visiter les préparatifs de défense ; en sortant de la barrière, je vis une longue suite de petites cabanes bâties à la hâte par un régiment de cavalerie qui campait là. Les chevaux broutaient paisiblement au piquet le blé vert, tandis que les soldats, pour se garantir du soleil, avaient moissonné des champs entiers dans le but de couvrir, en guise de chaume, les toits en branchages sous lesquels ils dormaient.

Pendant ce temps-là, les armées prussienne et anglaise, avant de connaître l’abdication, tâtonnant et incertaines dans leurs mouvements, marchaient plus hardiment sur Paris depuis qu’elles avaient connaissance de ce grand événement qui devait avoir jeté le découragement au sein de l’armée. Cette nouvelle avait effectivement consterné tous les patriotes. Mais un vague instinct disait à l’armée, ainsi qu’au peuple, que la nécessité briserait bientôt cette fatale abdication qui paralysait le seul bras capable de brandir l’épée libératrice. Aussi chaque jour une foule avide, d’ouvriers surtout, rôdait autour de l’Elysée, épiant l’instant où elle pouvait apercevoir dans le jardin, Napoléon se promenant triste et rêveur. Un cri général l’appelait à la tête de l’armée ; jamais le peuple, le peuple qui paie et se bat, ne lui avait témoigné plus d’intérêt que dans son malheur. Je cherchais à le voir une dernière fois, je n’y pus parvenir.

Cependant, les généraux Blücher et Wellington avaient marché de concert ; ils étaient maîtres de Saint-Germain et de Versailles, lorsqu’une grande partie de l’armée prussienne se sépara de l’armée anglaise et passa sur la rive gauche de la Seine. Ce fut alors que Napoléon, en apprenant cette énorme faute, jugea l’instant décisif pour sauver la liberté. Il proposa au gouvernement provisoire de redevenir le général Bonaparte, de se remettre en cette qualité à la tête de l’armée, et se fit fort d’écraser l’une après l’autre les deux armées ennemies. C’était encore une fois la manœuvre de Mantoue. Pour toute réponse, la commission présidée par Fouché le fit mettre en surveillance à la Malmaison.

Oh ! si jamais malédiction générale accueillit un acte de gouvernement, ce fut ce jour-là ! La trahison était si flagrante que l’indignation ne se déguisait plus. Je me rappelle nos protestations, notre colère pendant toute la soirée au café des Pyrénées. Jamais ce paisible théâtre de nos discussions politiques depuis un an n’avait été témoin de scènes si orageuses.

Les canonniers volontaires de l’Ecole de Médecine rentraient de l’exercice ; quelques tirailleurs de notre 11e bataillon, qui avaient reçu leurs armes et leur équipement, revenaient du village des Vertus, la bouche encore noircie par la cartouche ; on y avait tiraillé toute la journée avec les vedettes étrangères. On conçoit que ces jeunes têtes ne devaient pas prendre patiemment le parti de se soumettre au joug ennemi. »

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