Natif de Charleville (Ardennes) le jeune Morin s’engage dans un bataillon de volontaires à l’âge de dix-sept ans. En 1796, il est lieutenant, aide de camp du général Dupont-Chaumont à l’armée du Nord. Après avoir passé quelques mois dans les rangs de la 66e demi-brigade de ligne, puis du 2e de dragons, il est promu capitaine. Il reprend les fonctions d’aide de camp successivement du général Wirion, de la gendarmerie (1798), puis du général Dupont-Chaumont pour la deuxième fois (1799) et enfin du général Dupont de l’Étang (celui de Baylen) en 1800. Il est blessé deux fois pendant la campagne d’Italie de 1800-1801 et passe chef d’escadron. Après un séjour à l’armée des Côtes en 1804, il combat avec la Grande Armée en Allemagne et en Autriche. Major au 7e de dragon, il est en Italie et à Wagram dans l’armée du vice-roi Eugène de Beauharnais. Ayant fait ses preuves comme colonel en second de son régiment en 1811, l’Empereur lui donne le commandement d’un autre régiment de dragons, le 51 qui est en opération dans le Sud de l’Espagne. C’est ainsi que le colonel Morin va faire campagne dans la péninsule pendant dix-huit mois. C’est l’objet du récit qui va suivre.
Dans ce document manuscrit, rigoureusement inédit, récemment acquis en salle de ventes par la Fondation Napoléon, le jeune colonel raconte avec intelligence, précision et parfois avec un certain lyrisme – dans le style et avec l’orthographe de l’époque – ses pérégrinations parfois mouvementées à la recherche de son régiment dans un pays dévasté par quatre ans de guerre. En effet, averti le 23 juin 1812 de sa nomination à la tête du 5e de dragons (ci-devant colonel- général-dragons), Morin va mettre plus de sept mois pour rejoindre son commandement.
Compte tenu du danger grandissant que représentent en 1812 les nombreuses bandes de guérilleros espagnols dans presque toutes les régions, on ne peut plus y circuler qu’en convoi sous escorte de centaines d’hommes armés. Ce qui n’empêche ni les embuscades ennemies de se produire ni les routes d’être coupées par des éboulements, des aabatis des ponts détruits, etc.
Parti de Bayonne le 2 août 1812 le colonel rejoint Irun où il se joint au convoi du général de Lameth. Arrivé à Vitoria, il trouve la route de Valladolid (vers. le Sud-Ouest) coupée. Il décide alors de profiter du convoi du maréchal Marmont pour rebrousser chemin. Ainsi, il revient en France dans le but de reprendre un nouvel itinéraire, par l’Est de l’Espagne, passant par Saragosse et Valence. Après Bayonne, il se rend à Pau qu’il quitte le 5 octobre pour repasser les Pyrénées. Il est à Saragosse le 14 et à Tortose le 24, d’où il emprunte la route côtière par Benicarlo, Castellon et Sagunte. Son convoi arrive péniblement à Valence à la fin du mois. Le colonel décrit admirablement cette ville sous tous ses aspects. Il ne semble d’ailleurs pas pressé d’en repartir car il y séjourne deux mois. En fait, il y est très aimablement accueilli par le maréchal Suchet en personne. Le duc Albufera le prend provisoirement à son service et l’invite à l’accompagner dans des opérations contre les Anglo-Espagnols au Nord d’Alicante, puis à remettre en état sa cavalerie dans la région de Cullera (située sur la côte à environ 100 kms à l’Ouest de l’île d’lbiza).
En janvier 1813, la route .Séparant l’armée d’Aragon de l’armée du Centre étant enfin réouverte, Morin repart vers Madrid à la tête d’un important convoi. C’est à Utiel, à 75 kms à l’Ouest de Valence, qu’il a la bonne surprise, le 4 février, de rencontrer enfin son régiment qu’il cherchait à rejoindre depuis si longtemps. Faisant dès lors partie de la 2e division de dragons du général baron Digeon, brigade Sparre : composée des 5e, 12e et 21e dragons, Morin va mener des opérations incessantes de contre-guerrilla à la tête de son régiment. Il sera engagé pendant deux mois dans la province de la Manche à la poursuite des bandes rebelles du redoutable El Empecinado. Le 5e de dragons séjourne à Madrid les 5 et 6 avril avant de franchir les montagnes du Guadarrama pour rejoindre l’armée du Portugal du général comte Reille dans la région de Toro. C’est là que se termine en mai 1813 le récit du colonel Morin, à la veille de l’offensive décisive de Lord Wellington à la tête de l’armée anglo-portugaise en direction de la France. Nous savons que par la suite le 5e dragons va mener une action retardatrice au sein de la division Digeon en direction de Burgos puis de Vitoria. C’est là que Morin va se couvrir de gloire dans la bataille du 21 juin. Responsable de la défense du pont d’Arriaga sur la Zadorra il exécute trois charges à la tête de son régiment contre les hussards britanniques du général Stuart, tuant de sa main un officier supérieur ennemi. Bien que blessé de deux coups de feu et criblé de vingt coups de sabre, il parvient cependant à se dégager. Il sera de nouveau blessé le 13 décembre 1813 au combat de Saint-Pierre d’lrube dans les Pyrénées. Promu général de brigade le 12 mars 1814, Jean-Baptiste Morin meurt à Paris le 26 du même mois à l’âge de trente-huit ans, probablement épuisé par ses nombreuse blessures récentes.
Colonel Paul WILLING.
Ce témoignage a été publié la première fois dans la revue du « Souvenir Napoléonien », n°378, d’août 1991.
L’Empereur m’ayant nommé par décret du 1er juin 1812 colonel du 5e régiment de dragons, je fus informé de ma nomination le 23 du même mois par le ministre de la Guerre ; je fis le même jour partir de Paris un domestique avec trois chevaux pour arriver à Bayonne le 23 ou le 24 juillet; je partis moi-même en poste avec mon valet de chambre Hauvette le 21 juillet à une heure du matin. J’arrivai le 22 à Château-Renault, le 23 à Poitiers, le 24 à Bordeaux où je séjoumai le 25 et le 26. Je descendis à Bayonne à l’hôtel de Saint-Etienne. Cette ville paraît avoir un assez mauvais esprit, on y débite continuellement mille fâcheuses nouvelles sur l’Espagne. Cependant si son commerce maritime a beaucoup souffert ou plutôt s’il est nul, elle fait beaucoup d’affaires pour tout ce qui a rapport aux fournitures des armées qui sont en Espagne. Les commissionnaires, les marchands, les aubergistes, les selliers, les tailleurs y font fortune ; c’est particulièrement à Bayonne qu’on vend bon marché le superflu de la guerre, quand on sort de l’Espagne, qu’on paye au poids de l’or ce que l’on veut acheter quand on y entre.
Il y a de fort jolies promenades appelées les allées marines, elles m’ont paru peu fréquentées. Un aventurier pendant mon séjour à Bayonne est descendu à l’hôtel de Saint-Etienne, il arrivait de Bilbao avec une escorte de 1.200 hommes, et avait, disait-il débarqué dans les environs de cette ville ; il se donnait pour ambassadeur des Etats-Unis et porteur de dépêches pour Sa Majesté, plusieurs autorités lui ont fait visite ; le lendemain de son arrivée, il a annoncé son départ pour Paris, ses papiers visés par le commissaire général de police étaient, ou paraissaient être en règle, rien ne s’opposait à son départ, il fit charger sa voiture, demander des chevaux de poste, et il disparut, laissant son bagage et 12.000 frs en or. On l’a fait chercher et je n’ai pas appris qu’on ait pu découvrir ce qu’il était devenu.
Le 31 juillet je vais en bateau promener au village du Boucaut peu distant de l’Océan, sur la rive droite de l’Adour ; il y a une très belle jetée ouvrage de nos derniers rois, qui conduit à la mer, elle a au moins 800 toises de longueur, sur deux environ de largeur, elle est bâtie en pierres dures taillées carrément. L’entrée du port est fort difficile, on fait des ouvrages immenses pour détruire ce que l’on appelle la barre, ce sont des sables mouvants qui forment des bancs changeant de place chaque jour et qui rendent à cet endroit la mer très houleuse. Je l’ai vue extrêmement agitée quoique le tems (sic) (1) fut calme.
Après avoir beaucoup dépensé d’argent à Bayonne, pour achats de mules et autres objets, j’obtiens du général L’Huillier, commandant la réserve à Bayonne la permission de partir pour Yrun ; je laisse dans cette ville ma voiture, des livres et plusieurs autres objets d’un transport difficile et je pars le dimanche 2 août, par une chaleur excessive, pour aller coucher à Saint-Jean de Luz, petite ville près la mer ; elle doit être fort malsaine à cause de la laisse de basse mer qui y séjourne et produit des exhalaisons funestes. Le lendemain 3 je passe le pont de Bidassoa et j’entre en Espagne. Il faut déjà être sur ses gardes pour aller du pont à Yrun, quoiqu’il y ait à peine un quart de lieue de distance, les brigands répandus dans le pays viennent quelquefois enlever des hommes isolés sur cette route. Je trouve à Yrun un ancien ami et compatriote dans le commissaire des guerres Gailly, qui me reçoit avec beaucoup de cordialité; il y a abondance de toutes choses dans cette ville où on se trouverait bien si on n’était pas pour ainsi dire, bloqué de toutes parts, on aperçoit à une demi-lieue de distance à peu près la petite ville de Fontarrabie, fort déchue de ce qu’elle était autrefois ; huit jours avant mon arrivée à Yrun le commandant de Fontarrabie se promenait à 50 pas de la porte de la ville, deux paysans en sortent, le saluent, ils marchent ensemble quelques pas, les paysans lui mettent le pistolet sur la gorge et l’enlèvent. Le 4 août je séjourne à Yrun, je pars le 5 avec 200 gendarmes à pied, 100 gendarmes à cheval et un bataillon d’infanterie. Le général Charles De Lameth, nommé commandant de Santonia est chargé du commandement du convoi où se trouve aussi le général Labadie qui se rend dans la même place pour mettre en état les fortifications. Le convoi s’ajuste avec assez de peine, on marche enfin militairement. Le pays est bien cultivé. Les routes sont bonnes, on fait halte au village Ernany(2) et on se remet en route pour Tolosa où nous arrivons à trois heures après midi, après une marche de 12 heures; quelques brigands couronnaient les hauteurs, mais le bon ordre de la colonne leur en a imposé, ils ont vu qu’il n’y avait que des coups à gagner et ils ne nous ont point inquiétés.
Il est pourtant fâcheux de voir de distance en distance les postes établis sur les hauteurs par les bandes pour percevoir les droits sur tout ce qui passe sur les routes, les détachemens (sic) s’éloignent quand une colonne française arrive et reviennent à leur poste aussitôt que l’arrière garde de la colonne a défilé. Un homme qui resterait à cinquante pas derrière la colonne courerait le risque d’être assassiné. Aussi n’y a-t-il point de traînards. Cette manière de marcher en caravane dès les premiers jours que l’on entre en Espagne, de traverser des villages dépeuplés ou détruits, a quelque chose de sinistre et donne une idée fâcheuse du pays à celui qui y vient pour la première fois. Le pays quoiqu’aussi bien cultivé qu’il peut l’être à cause de la guerre, est généralement sec et aride dans beaucoup de parties, et malgré soi on regrette vivement la France que l’on vient de quitter.
Tolosa est une ville assez considérable et où malgré la présence continuelle des brigands autour des murailles, on trouve encore quelques ressources. On commence à s’appercevoir (sic) déjà de l’injustice des Français envers les Espagnols. Ils croient que rien n’est bien que chez eux et que lorsque l’on entre en Espagne, on va mourir de faim et surtout qu’on ne trouvera aucun secours pour réparer ou remplacer les équipages. Cette crainte peu fondée force la plupart de ceux qui viennent dans ce pays, à des dépenses et à des embarras inutiles ; si on n’a pas les mêmes facilités qu’en France, s’il en coûte plus cher, on peut néanmoins se procurer à peu de chose près tout ce dont on peut avoir besoin.
On part de Tolosa pour aller coucher à Villaréal qui n’est qu’un bourg, divisé en deux et fort insignifiant ; il est absolument impossible là de sortir de la ville sans escorte. Les bandes font journellement feu sur les vedettes. Les troupes de la garnison là comme dans les autres lieux d’étapes sont renfermées dans de grandes maisons crénelées, qui sont la plupart du tems (sic) celles de l’hôtel de ville, toutes sont belles et d’une bonne architecture dans la province de Guipuscoa et la Biscaye. La journée de Villaréal à Montdragon est pénible à cause du paysage d’une montagne que l’on monte et resdescend avant d’arriver à Bergara, jolie petite ville près la route et où on faisait beaucoup d’armes autrefois. De là on arrive à Montdragon petite ville située au milieu des montagnes et où les mêmes dangers existent par la présence continuelle des bandes sur ce territoire. Les distributions de vivres en tous genres s’y font avec assez de régularité et si on n’y est pas bien, on ne peut pas dire que l’on y soit mal. Le 7 nous partons avec la même escorte ; nous faisons halte à la petite ville de Salinas, et après avoir heureusement traversé le défilé qui l’avoisine, et vu les tristes restes d’un convoi considérable attaqué et pris six mois auparavant par la bande commandée par Mina, nous arrivons à Vitoria; c’est là que nous apprenons les malheureux événements arrivés à l’armée du Portugal le 22 juillet ; un convoi considérable de blessés y arrivait, ceux que nous interrogions nous peignent les choses sans doute beaucoup plus noires qu’elle ne le sont. Le général en chef Caffarelli me fait un accueil fort aimable et m’engage à rester à Vitoria, jusqu’à ce qu’il y ait une occasion pour pousser plus loin, ou jusqu’à ce que les affaires aient pris une autre tournure afin de savoir quelle route je dois prendre.
Vitoria est une grande et jolie ville, la place est superbe et d’une bonne architecture ; comme dans la plupart de celles d’Espagne, il y a beaucoup de fenêtres et de balcons parce que c’est là où se donnent les combats de taureaux, tout ce qui avoisine la place est neuf et bâti régulièrement, l’ancienne ville est sur le penchant d’une colline et n’a gueres (sic) que trois grandes rues principales qui longent la colline horizontalement avec une infinité d’autres plus petites qui ne sont gueres (sic) que des escaliers ; elles sont d’ailleurs fort sales, malgré que presque tous les jours des forçats soient occupés à les netoyer (sic) ; peine inutile, les Espagnols paraissent se complaire dans cette ordure, puisque outre cela, il y a entre les différents quartiers des conduits non recouverts où toutes les saloperies et les eaux séjournent et qui répandent une odeur affreuse. Mon séjour se prolongeant à Vitoria, j’y passe le tems (sic) fort tristement, malgré toutes les amitiés que je reçois de MM. l’Intendant Bépières de l’ordonnateur en chef Volland, et du général Thiébault, qui chacuns occupés de leurs affaires ne sont libres que le soir.
Vers le 15 août le général Caffarelli part pour reprendre Bilbao que les événemens (sic) de l’armée du Portugal lui avaient fait quitter et il laisse le général Thiébault avec quelques centaines d’éclopés et 500 gendarmes à cheval pour commander et garder Vitoria. On tâche de tout utiliser dans une reconnaissance que je fais le lendemain avec le général Thiébault, nous prenons deux brigands qui sont fusillés. Ce même jour mon valet de chambre Hauvette qui était avec moi depuis six ans, que j’avais toujours traité avec bonté, qui paraissait m’être fort attaché déserte pour aller joindre les bandes insurgées, heureusement il ne m’emporte qu’une montre et des choses de peu de valeur. C’est pour la première fois que j’entends la musique espagnole, si toutes fois (sic) on peut appeler musique, des psalmodies aussi insipides que ridicules. Il est inconvenable que la barbarie d’un pareil chant reste enracinée dans un pays où les airs de danse sont les plus vifs et les plus animés. Rien d’aimable en effet comme le fandango, le bollero (sic) et le sorongo. Cinq jours après le général Caffarelli rentre de son expédition, et il ramène une centaine de prisonniers de la bande de Durand qu’il avait rencontrée sur son chemin. Un détachement de mon régiment passe à Vitoria pour se rendre dans la Garde impériale. Le convoi dont il fait partie est attaqué près de Vitoria. Je demande à un grenadier que je rencontre avec 4 autres de combien d’hommes était ce détachement; nous sommes dix, mon colonel, me répond-il, et où sont les autres ? ah! les autres, ils ont été tués tout à l’heure. J’ai vu pendant mon séjour à Vitoria exécuter six malheureux qui dans une maison avaient assassiné un officier français. Le supplice qu’ils ont subi est, je pense, le moins effrayant de tous. Aussi d’un peuple immense qui se trouvait là, aucun ne me paraîssait ému et j’avoue, à ma honte, que j’en regardais les apprêts avec le plus grand sang froid. Le patient est assis sur un banc derrière lequel est une poutre, le confesseur qui le suit sur l’échafaud ne le quitte pas et l’on peut dire qu’il lui donne l’absolution lorsque son âme s’échappe de son corps.
Aussitôt assis, l’exécuteur lui passe au col un collier en fer, il tourne une vis et dans l’instant l’homme est mort. Le prêtre fait ensuite un discours au peuple qui lui rit au nez. Il y a sans doute du mérite à rendre à des malheureux les approches de la mort moins terribles, mais les prêtres espagnols ont si peu de décence dans tout ce qu’ils font et dans l’exercice de leurs fonctions, ils sont si sales, qu’ils perdent tout le fruit de leurs exhortations sur une multitude à qui il faudrait un peu parler aux yeux.
A suivre…