Accueil TEMOIGNAGES Napoléon en route vers Sainte-Hélène. Extrait du témoignage du docteur W.Warden, chirurgien du « Northumberland ».(III).

Napoléon en route vers Sainte-Hélène. Extrait du témoignage du docteur W.Warden, chirurgien du « Northumberland ».(III).

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Sainte Hélène.

« En mer.

Mon cher Ami,

Je reprends mon travail décousu : « la tâche journalière telle que vous la voulez ». Le premier jour de son arrivée à bord, notre illustre passager montra un appétit extraordinaire. J’ai observé qu’il avait fort bien dîné et bu beaucoup de vin de Bordeaux. Il passa toute la soirée sur le pont, où il prit plaisir à entendre la musique du 53ème  régiment. Il demanda qu’on exécutât le God save the king et le Rule Britannia.  De temps en temps il plaisantait les officiers qu’il jugeait capables d’engager avec lui une conversation en français. Je remarquai que, dans ces occasions, il conservait invariablement la même attitude. Il se donnait un air d’importance, probablement tel qu’il était accoutumé à le prendre au Palais des Tuileries quand il donnait audience à ses Maréchaux ou à ses Ministres. Il a toujours ses mains derrière le dos et ne les enlève de leur place habituelle que pour prendre la tabatière. Une chose qui m’a frappé tout particulièrement, c’est qu’il n’offrait jamais une prise à celui avec lequel il causait : c’est sans doute un reste de sa dignité de jadis. Le lendemain il déjeuna à onze heures. Son repas consiste en viande arrosée de bordeaux et se termine par du café. Au dîner, je l’ai vu choisir une côtelette de mouton qu’il trouva moyen de manger sans l’aide d’un couteau ni d’une fourchette. Il passa la plus grande partie de la troisième journée sur le pont et parut avoir apporté une attention toute particulière à sa toilette. Il ne reçoit d’autres marques de respect des officiers du bord que celles que l’on témoignerait à un simple particulier. Du reste, il ne paraît pas en solliciter, ni en attendre plus qu’il n’en reçoit. Il se contente sans doute des hommages de sa suite, qui paraît toujours tête nue devant lui, de sorte que si une ligne était tirée autour d’eux, on pourrait se croire au Palais de Saint-Cloud. Il joua aux cartes dans la soirée ; on fit une partie de whist et il perdit. On ne joua pas de la même façon qu’à nos tables de jeu anglaises ; mais je n’ai pas la compétence nécessaire pour expliquer les diverses  variétés de ce jeu. Le jour suivant, Napoléon le passa tout entier dans sa cabine. Sa suite ne tarda pas à s’apercevoir qu’il avait le mal de mer. Il était si peu accoutumé à la mer, qu’il ne connaissait même pas les effets ordinaires du mouvement d’un vaisseau sur les personnes qui n’y sont point habituées et qu’il croyait devoir attribuer sa migraine à quelque autre cause. Il ne paraissait pas vouloir croire que l’eau salée en fût l’origine. Je présume qu’aucune personne de sa suite n’osa, à cette occasion, lui répéter la leçon pratique de son frère, Canut, à ses courtisans, sur les procédés grossiers de l’Océan. Parmi les bagages étaient deux lits de camp, qui l’avaient accompagné dans plusieurs de ses campagnes. L’un d’eux avait reçu une destination bien différente de celle que l’on avait eu en vue quand il fut construit et était devenu un meuble bien nécessaire dans sa cabine. L’autre n’était plus propre à donner du repos à un héros militaire, dans l’agitation de quelque campagne ; il était destiné à être pressé par quelque héroïne, telle qu’était Madame Bertrand, à travers les vagues en furie. L’habileté du tapissier et du mécanicien les ont cependant rendus aussi confortables que possible, Ils ont à peu près six pieds de long sur trois de large, avec une épaisse garniture de soie verte. La charpente est en acier et travaillée si artistement que l’on est surpris de leur légèreté et de la facilité avec laquelle on les déplace. Quand, par hasard, je viens à m’asseoir sur l’un d’eux, je ne peux m’empêcher de penser aux batailles de Wagram, Austerlitz, Friedland, etc. Dans une telle situation, le politique et le sage peuvent réfléchir aux vicissitudes et aux hasards du monde. Mais je ne crois pas posséder suffisamment aucun de ces deux caractères, ni séparément, ni collectivement, pour être autorisé à m’engager dans une suite de réflexions sur des sujets pourtant intéressants ; je laisserai cette occupation à votre esprit, plus actif et plus prompt à s’enthousiasmer.

Quoique le vent fût fort et le roulis considérable, Bonaparte apparut sur le pont entre trois et quatre heures de l’après-midi. Il s’amusa à faire des questions au lieutenant de quart : « Combien de lieues le vaisseau faisait dans une heure ? S’il était probable que la mer se calmât? Quel était le navire qui courait à bâbord du Northumberland ? ». Au résumé, il tenait à prouver que rien n’échappait à son attention. Mais je ne pouvais m’empêcher de sourire en voyant ce conquérant, qui avait traversé d’un pas si fier tant de pays asservis, chanceler sur le pont d’un navire et s’accrocher à n’importe quel bras pour s’empêcher de tomber, n’ayant pas encore le pied marin. Entre autres objets qui attirèrent son attention, il observa que M. Smith, qui se promenait de long en large avec les autres aspirants, était plus âgé que ses camarades. Il lui demanda depuis combien de temps il était entré dans la marine : « Depuis neuf ans », répondit M. Smith. — C’est beaucoup, répliqua Napoléon. — C’est vrai, répliqua M. Smith, mais j’en ai passé la plus grande partie dans une prison française ; j’étais à Verdun quand vous êtes parti pour la campagne de Russie. » Napoléon haussa les épaules avec un sourire significatif et mit fin à l’entretien. Je dois vous dire une fois pour toutes, si je n’en ai pas encore fait l’observation, que Napoléon laisse rarement échapper l’occasion d’interroger […]

Le nom de Talleyrand fut un jour prononcé, au cours d’une conversation que nous eûmes avec nos voyageurs français, qui avouèrent sans réserve la haute opinion que les Bonapartistes avaient de ses talents. Comme je demandais à quelle époque il avait perdu la confiance de Napoléon et cessé de diriger sa politique, on me répondit que c’était lors de la guerre d’Espagne. Ainsi se trouvèrent vérifiés les bruits répandus en Angleterre, à savoir que Talleyrand avait blâmé sans détours cette entreprise si hasardeuse et si téméraire. On avait pourtant contredit cette nouvelle et l’on avait dit alors que le prince de Bénévent avait, au contraire, approuvé la guerre d’Espagne et même recommandé cette mesure, se basant sur cette opinion inaltérable (sic), qu’il communiqua à l’Empereur, que sa vie ne serait pas en sûreté, tant qu’un Bourbon régnerait en Europe.

Je pénétrai plus avant dans ce sujet avec Madame Bertrand et elle m’assura positivement, et de la façon la moins équivoque, que Talleyrand entretenait une correspondance secrète avec Napoléon, lors de leur dernier séjour à Paris, et qu’il devait les rejoindre dans le délai d’un mois. Son départ de Vienne pour les eaux d’Aix-la-Chapelle fut attribué à une indisposition, mais c’était pour mieux cacher sa duplicité. « Croyez-vous, Madame, lui dis-je, que Talleyrand, même s’il en eût eu l’intention, aurait possédé le pouvoir d’influencer la Cour de Vienne en faveur du gendre de l’Empereur ? — La Cour de Vienne ! s’écria-t-elle. Oh ! Oui, il est capable d’influencer toutes les Cours de l’Europe. S’il avait rejoint l’Empereur, la France n’aurait pas changé de maître et nous serions maintenant à Paris. »

Quant aux vertus de Talleyrand, je n’en ai jamais entendu faire l’éloge, mais vous pouvez juger, d’après ce que je vous en ai dit, en quelle grande estime ses talents politiques étaient tenus dans le cercle français à bord du Northumberland. Je demandai au comte Bertrand lequel des généraux français avait amassé le plus de richesses. Sans la moindre hésitation, il me répondit que c’était Masséna. Il ajouta que tous avaient fait des fortunes considérables. D’après lui, Macdonald, duc de Tarente, s’était moins enrichi que tout autre. A notre grand étonnement, il fit de Davout, prince d’Eckmühl, un panégyrique complet, sur lequel se récrièrent tous les assistants, trouvant la conduite de cet officier à Hambourg sans exemple. Le comte Bertrand n’en convint pas. Au contraire, il représenta Davout comme un officier zélé, correct, fidèle, nullement dépourvu d’humanité. On le connaissait pour interpréter avec une extrême rigueur les ordres reçus et cependant il n’avait pas agi à Hambourg, avec toute la sévérité que lui prescrivaient ses instructions. Le comte Bertrand nous assura aussi que Davout était incapable de s’être laissé acheter. Une somme d’argent considérable lui avait été offerte pour laisser quelques vaisseaux sortir du port de Hambourg pendant la nuit. Il l’avait refusée avec le dédain d’un loyal soldat et d’un homme d’honneur.

Le comte de Las-Cases, prenant part à la conversation sur les maréchaux de France, parla d’eux avec très peu de réserve : « Masséna, nous dit-il, a été, à l’origine, un maître d’armes. Avant ses campagnes en Portugal et en Espagne, il était considéré en France comme égal, sinon supérieur, à Bonaparte pour les capacités militaires. Le comte le représente, depuis cette époque, comme réduit à une insignifiance absolue. « Il est, dit-il, très avare, quoiqu’il n’ait qu’un enfant, une fille, qui doit hériter de son immense fortune. »[…]

Dans l’après-midi, notre « principal passager » demeura plus longtemps sur le pont qu’il ne l’avait fait jusqu’alors, et ses traits dénotaient l’inquiétude. Il s’enquit de la marche du navire, montrant ainsi son impatience d’arriver au terme du voyage. Il éprouvait sans doute quelque indisposition, par l’effet de l’étroit local dans lequel il se trouvait resserré, ayant contracté dans ses campagnes l’habitude d’exercices violents. Suivant ce que j’ai entendu dire, il avait été fort maigre jusqu’au temps où il devint Premier Consul, et quand même son tempérament eût été autre, ses campagnes en Egypte eussent suffi à fondre son embonpoint. Mais les fatigues de corps et d’esprit qu’il a endurées depuis étaient faites pour détruire tout autre tempérament que le sien. Il a fallu une constitution extraordinairement robuste pour résister. Même sa santé s’est plutôt améliorée qu’affaiblie et pendant ces dix dernières années il a sans cesse engraissé.

Madame Bertrand, causant de la famille Bonaparte, m’a parlé des femmes avec admiration. Elle dit qu’à l’exception de la princesse de Piombino, toutes sont d’une beauté éclatante. C’est donc par ces femmes charmantes que, pour employer l’expression favorite de nos passagers « de grande et grosse tête », je finirai ici ma grande et grosse lettre.

Adieu, etc., etc.

W. WARDEN

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« En mer.

Mon cher Ami,

Je crois vous avoir déjà dit qu’on avait mis une attention toute particulière à ne pas laisser voir à nos exilés les journaux anglais qui nous furent envoyés avant que nous ne missions à la voile. Le comte Bertrand, un jour que nous parlions ensemble, en profita pour me demander si je les avais lus. Comme vous pouvez bien le supposer, je lui répondis affirmativement et aussitôt il se mit à me questionner sur leur contenu. C’est ainsi que je lui racontai que les journaux parlaient du voyage secret qu’on croyait qu’il avait fait à Paris, avant le retour de Napoléon en France. A peine lui eus-je communiqué ce détail que son visage exprima un vif ressentiment : « Je sais bien, me dit-il, que les journaux anglais m’ont accusé d’avoir été à Paris sous un déguisement, quelques mois avant le départ de l’Empereur de l’île d’Elbe. Mais je déclare solennellement qu’à cette époque, je n’ai jamais mis le pied en France, au moins de la façon qui m’a été attribuée. J’aurais pu aller en Italie si je l’avais voulu, mais je n’ai pas quitté l’île d’Elbe avant que mon Empereur l’ait lui-même quittée. On a aussi prétendu que j’avais prêté serment de fidélité au Roi, c’est une assertion également fausse, car je n’ai jamais vu un seul membre de la famille des Bourbons de France. » Je vais vous donner le récit du retour de Bonaparte en France, tel qu’il m’a été raconté. « Le principal acteur fut le duc de Bassano [Maret]. Plusieurs individus s’étaient rendus à l’île d’Elbe, de différents départements français. L’Empereur avait été conduit à soupçonner que les alliés avaient résolu de l’envoyer dans l’île qui lui est actuellement destinée. Sur quelle base était fondée cette appréhension, aucun indice ne m’a été, à cet égard, communiqué. Toutefois ce qui est certain, c’est qu’il le croyait si sérieusement qu’il se décida à quitter l’île d’Elbe pour déjouer le complot qu’il s’imaginait devoir éclater en France. Au moment de l’embarquement de la petite armée, l’Empereur reçut une dépêche de l’un de ses amis, le priant instamment de retarder son entreprise, ne fût-ce que d’un mois. Si les soldats n’eussent pas été embarqués et toutes choses arrêtées, il n’est pas douteux que cette communication eût suffi à contenir son impatience et à calmer ses craintes : quoi qu’il en soit, il était trop tard, le sort en était jeté.

Aujourd’hui il s’est passé un événement qui, comme vous pouvez l’imaginer, a excité beaucoup d’intérêt parmi nos passagers et appelé des questions multiples : une corvette française, portant le pavillon blanc, a vogué quelque temps de conserve avec nous. Le général Gourgaud nous amusa d’une foule de détails relatifs aux campagnes d’Espagne et de Russie, auxquelles il avait lui-même pris part. J’en choisirai deux ou trois ; car il est tels récits qui égayent la monotonie des journées passées sur le pont d’un vaisseau, et qui peuvent ne pas être dignes d’être communiqués à ceux qui sont entourés des plaisirs variés qu’on trouve à toute heure dans le large cercle de la vie sociale. Il nous parla de la rigueur du froid en Russie, en exprimant un étonnement qui nous procura quelque divertissement. Vous pouvez aisément vous figurer la différence des sensations d’un Français, né sous un climat très doux et qui avait servi en Espagne, quand il se trouva transporté dans une partie du globe, où les larmes coulant sur ses joues devenaient des petits glaçons ; et qu’autour de lui, les soldats stupéfiés par le froid, cherchant à s’agiter pour recouvrer leur sens, tombaient à terre et y expiraient instantanément […]

Pendant la soirée, Napoléon posa des questions au capitaine Beatty, des régiments de marine, qui parle la langue française avec une grande facilité. Ses questions portèrent sur les règlements et la discipline des troupes de la marine, etc., etc. Il ne pouvait choisir un officier qui fût mieux qualifié pour satisfaire sa curiosité militaire sur le sujet qu’il venait  d’aborder. Le capitaine Beatty avait servi sous Sydney Smith en Orient et était au siège de Saint-Jean d’Acre, événement qui ne figure pas parmi les souvenirs les plus agréables de Bonaparte. Cependant, quand il fut informé de cette circonstance, il l’accueillit de très  bonne humeur et, prenant le capitaine par l’oreille, il s’écria d’un ton plaisant : « Ah ! Coquin, coquin, vous étiez là ! » Il demanda alors ce qu’était devenu Sir Sydney Smith. Quand il apprit que ce brave chevalier était en ce moment sur le continent et qu’il avait soumis au Congrès de Vienne une proposition pour détruire les pirates de la côte barbaresque, il répliqua de suite « qu’il était et avait toujours été honteux que les puissances européennes permissent l’existence de ce repaire de scélérats ! » Cette opinion confirme en quelque sorte les avis émis sur une proposition qu’Andréossy  fut, dit-on, chargé de faire à notre gouvernement, durant la courte paix conclue avec la France sous le gouvernement consulaire. Pendant cette trêve des hostilités, on croit que le Premier Consul avait proposé une action combinée entre les deux puissances, qui se faisaient auparavant la guerre, pour détruire et exterminer entièrement les pirates de Barbarie. Dans cette occasion, à ce que dit l’histoire, Bonaparte offrait de fournir les forces militaires de terre, si l’Angleterre voulait faire tous les préparatifs maritimes nécessaires pour assurer le succès d’une entreprise si honorable pour les deux nations. Si de telles propositions ont été réellement faites, il n’est pas douteux qu’il a dû exister des raisons suffisantes pour faire hésiter à les accepter. La prompte reprise de la guerre a mis fin à toutes autres négociations sur ce sujet, si jamais il en a été entamé.[…]

Vous avez probablement remarqué que notre principal passager ne fait pas ses questions au hasard ; il s’adresse, en effet, toujours aux personnes qui, d’après leur caractère officiel, sont particulièrement qualifiées pour lui fournir des explications satisfaisantes ; ou, ce qui paraît plus probable, c’est plutôt l’apparence extérieure officielle des personnes, que le hasard amène devant lui, qui lui suggère le sujet de ses questions ; car sa curiosité se dirige vers ce qui paraît être relatif aux attributions apparentes de ceux avec qui il converse. Ainsi, il devait être porté à me parler de mon métier quand je venais à attirer son attention. La médecine  ne semble pas être un sujet sans attraits pour lui. Il regarde l’équitation comme un exercice plus propre que tout autre à conserver une bonne santé . On m’a dit que, pendant sa traversée à bord du Bellérophon, il s’était flatté d’obtenir de notre gouvernement la permission de rester en Angleterre et qu’il se faisait à l’avance une fête d’y goûter les plaisirs de la chasse.

Après vous avoir donné un tel spécimen de l’activité de Napoléon, je vais vous causer sans doute de la surprise en vous apprenant que cet homme qui, dans le cours de sa carrière, semble s’être à peine accordé la permission de se reposer et qui, pendant tant d’années, a tenu en éveil le monde entier, est maintenant le dormeur le plus décidé à bord du Northumberland . Pendant la plus grande partie de la journée, il demeure couché sur un sofa, quitte le soir la table de jeu de très bonne heure. Le matin, il ne paraît guère avant onze heures et souvent déjeune au lit. Mais il n’a rien à faire et un roman suffit parfois à le distraire. […]

Le général Montholon est d’un caractère gai ; il a de charmantes manières, mais Madame « sa très chère femme »  a continuellement besoin de l’assistance du médecin. Son Empereur, en s’informant auprès de M. O’Meara de l’état de sa santé, répéta la question de Macbeth de la manière suivante : « Un médecin peut-il guérir un esprit malade ; « Ou ôter de la mémoire un mal profondément enraciné? « 

« Madame de Montholon, continua-t-il, est très alarmée à l’idée d’aller à Sainte-Hélène. Elle manque de ce courage si nécessaire dans sa situation et le défaut de résolution est une faiblesse impardonnable, même chez une femme. » Il est, en effet, très manifeste que nous devons la société des dames dans notre voyage au dévouement romanesque de messieurs leurs époux au personnage qui en est l’objet. Madame Bertrand ne put même persuader à sa femme de chambre de quitter Paris tant qu’elle n’eût pas obtenu la permission, pour le mari et le fils de cette femme, de faire partie de la suite de Napoléon. […]

A notre approche de Madère , le mauvais état de l’atmosphère ne nous permit de distinguer cette île que lorsque nous fûmes entre Porto-Santo et les déserts. Cette dernière île est un rocher escarpé et offre quelque ressemblance avec Sainte-Hélène. Je communiquai cette idée à Las Cases, qui aussitôt en avertit l’Empereur. Celui-ci ayant quitté la table plus tôt qu’à l’ordinaire, vint nous joindre sur la poupe Mais la comparaison de ce qu’il voyait en ce moment avec l’image qu’il avait lieu de se former du triste séjour qu’il allait bientôt habiter, ne lui arracha pas une parole : il haussa les épaules et sourit avec dédain. Ce fut tout. La côte riante et l’aspect fertile de Madère ne pouvait exciter en lui qu’une sensation désagréable, par le contraste qu’ils présentaient avec l’idée qu’il s’était faite du noir et sourcilleux rocher de Sainte-Hélène. […]

Quarante-huit heures avant notre arrivée à Madère, les vignes de l’île avaient été fortement dévastées et avaient éprouvé un dommage considérable par suite d’un violent sirocco. Cet événement sera indubitablement attribué par les habitants superstitieux à l’apparition néfaste de Bonaparte sur leurs côtes et tous les Saints du Paradis seront sans doute invoqués pour qu’ils hâtent notre départ. Je finirai cette lettre en vous disant que nous avons sous les yeux un riche et fertile paysage. Ma prochaine lettre vous donnera peut-être la nouvelle de notre arrivée au rocher stérile de Sainte-Hélène. Mais en quelque endroit que je me trouve, vous savez avec quelle sincérité je suis, etc., etc., etc.

W. WARDEN. »

(Docteur CABANES, « Napoléon jugé par un Anglais. Lettres de Sainte-Hélène. Correspondance de W. Warden, Chirurgien de S.M. à  bord du Northumberland, qui a transporté Napoléon à Sainte-Hélène. Traduite de l’anglais et suivie des  Lettres du Cap de Bonne-Espérance. Réponses de Napoléon aux lettres de Warden…», Librairie Historique et Militaire Henri Vivien, 1901, pp.22-58).

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