« Moscou, à l’exception du Kremlin, fut évacué le 19 [octobre 1812]. Le temps était très beau. Il fallut toute la journée pour déboucher de la ville. Les voitures d’artillerie et d’équipages, les chariots de vivres, les calèches, les chevaux de selle et de bât se mêlait, s’embarrassaient, se heurtaient et gênaient la marche des colonnes. 10,000 soldats valides étaient employés à l’escorte ; chaque corps, chaque compagnie, chaque état-major y était représenté par des hommes de confiance. On se battait et on se disputait partout. On jurait en français, en allemand, en polonais et en italien. Nous commencions à revenir ne arrière, et c’est de ce moment que commencèrent nos grands revers et cette immortelle retraite bien digne de figurer à côté de celle des dix mille. Je crois, tout amour-propre de côté, que nous avons, en cette circonstance, laissé bien loin de nous les romains dont l’Empereur nous parlait tant en Italie et en Égypte. Ces cohues présentaient un spectacle aussi étrange qu’effrayant. On prit d’abord la vieille route de Kalouga, sur laquelle se trouvait l’armée russe ; on la quitta le 21 pour passer sur la nouvelle, qui, de Moscou, passe à Borowsk et à Malojaroslavets. Ce mouvement fut masqué par le maréchal Ney et le roi de Naples. Beaucoup de voitures restèrent dans les boues du chemin de traverse, que nous suivîmes pour passer d’une route à l’autre. L’artillerie y perdit des chevaux. Cette circonstance nous démontre d’une manière évident que l’armée, trop appesantie par son immense matériel, ne pouvait se mouvoir que sur une grande route, et que, dans cet état de choses, il fallait marcher, toujours marcher, et ne combattre que pour s’ouvrir un passage. »
(Général de PELLEPORT, « Souvenirs militaires. Tome II : 1812-1853 », Édité par un Demi-Solde, 2009, pp. 36-37. L’auteur était à cette époque colonel du 18ème de ligne. Son régiment faisait partie du 3ème corps (maréchal Ney)).