Anspach, le 24 Avril 1806 , 1er Corps de la Grande Armée.
C.J. Vanesse à Mademoiselle Vanesse.
Chère Sœur,
Votre agréable datée du 17 janvier, ainsi que celle Van den Bruggen, me sont parvenues le 14 Février, flatté de recevoir une lettre qui contenait de si belles phrases et un si beau style. J’ai lu avec plaisir combien vous avez partagé le sort que j’ai failli entamer et de la manière avec laquelle vous vous êtes empressée pour me satisfaire aux demandes que je vous ai faites dans ma lettre de Pilgram, soyez persuadée chère sœur que je n’oublierai jamais ce que m’offre votre zèle pour les soins à mon égard et que vous trouverez toujours un frère qui conservera à jamais l’amitié fraternelle. Depuis que je vous ai écrit nous avons fait près de 200 lieues pour venir cantonner dans la principauté d’Anspach, (appartenant avant le traité au roi de Prusse), où nous sommes depuis deux mois. Notre état-major, 2ème et 3ème bataillons sont dans la ville, et le 1er bataillon dans villages environ. On dit que nous devons bientôt partir pour aller en garnison en Brabant, mais cela n’est pas encore décidé. Je voudrais rester ici pour quelques temps parce que nous sommes très bien logés chez les habitants. Je désirerais de tout mon cœur satisfaire vos désirs à vous envoyer mon portrait. Mais il est de toute impossibilité vu que je n’ai point les moyens, il nous est dû 9 mois d’arriérés et l’on ne nous paye pas un denier.
Je ne fréquente point de société, crainte de dépenser ou de quelquefois tomber en affront, comme cela arrive très souvent dans cet état, enfin en sortant du bureau je vais faire une promenade, après cela je rentre souper, et fais une partie au jeu de dames jusqu’à 10 heures avec la demoiselle de mon logement, voilà la manière dont je me conduis pour éviter les dépenses que pourraient occasionner les sociétés. De cet argent que j’ai touché à Mr Dauni j’ai acheté une anglaise en drap bleu, un chapeau et un pantalon de velours, j’ai fait quatre chemises dont deux restent à remettre l’argent à un ami, qui a bien voulu me l’offrir, il ne me reste plus que quelques Kreitz, argent du pays, que je conserve pour me faire blanchir. Rien de nouveau par ici, que, il semble que les Russes voudraient encore recommencer la Guerre. Je dis d’après la feuille de Mannheim nous apprend. Je désire que ma lettre vous trouve tous en aussi bonne santé que moi et vous soit si agréable que j’éprouve des plaisirs à vous l’écrire. Fais moi l’amitié chère sœur, de demander des nouvelles de la famille de mes amis et amies, si le bonheur veut que nous allions en France ou Brabant, je leur prouverai à tous que je conserve toujours l’amitié pour eux. Papa et Maman, ne s’échappent point une minute de mon esprit ou égarés à ce qu’il me semble de ma vue. J’espère qu’ils sont toujours là même et qu’il passera les beaux jours de printemps avec gaieté et contentement.
Je les embrasse du fond de mon cœur et leur souhaite tout ce que le ciel peut leur offrir d’agréable.
Je suis avec amitié distinguée Votre affectionné frère,
VANESSE.