Closter-Eilbronn [Heilbronn], 23 Juillet 1806.
A Monsieur et Madame VANESSE.
Voilà mes chers Parents ! Que nous venons de quitter la ville d’Anspach, pour aller cantonner dans les villages du même pays, où il n’y règne que la plus grande misère accompagnée d’une malpropreté sans égal ; nous avons resté l’espace de 3 mois et ½ dans cette ville où nous étions divinement bien et, actuellement nous sommes très mal, ce qui nous en légume ! L’état-major du régiment est dans un bourg à 4 lieues d’Anspach sur la route de Neurenberg, où nous sommes un peu mieux que le Régiment, mais je n’ai plus la bouteille de vin à chaque repas comme j’avais à la ville, ni toutes les douceurs que me prodiguaient les gens de ce logement que j’ai quitté avec regret. Il me paraît que l’on veut nous faire rester ici pour quelques temps, car il n’y a point question de départ, nous n’entendons rien dire, et tout est de la plus grande tranquillité. Je présume cher Papa, que vous oubliez tout à fait votre fils Charles [Vanesse parle ici de lui à la 3ème personne], voilà dix mois passés que vous ne lui avez fait l’honneur de lui écrire. Il ne sait, en vérité, à quoi attribuer un silence qu’il désirerait vous faire cesser ; il ne croit cependant pas vous avoir offensé ni ne donner aucun sujet de mécontentement.
Enfin il vous engage, sans délai, de lui écrire, sinon vous aurez un duel, depuis quelque temps il apprend à tirer les armes, et ma foi il ne fait pas bon d’avoir querelle avec lui, il pourrait même tôt ou tard venir vous chercher dispute et se battre à bras col avec vous ; vous voyez, Papa, de la manière qu’il se vengerait si vous le privez plus longtemps du bonheur de recevoir une de vos lettres. Vous voudrez bien me mander, dans la première lettre, si vous êtes totalement acquitté de l’arriéré de votre pension, si l’on paye exactement et de la manière que l’on a agit envers tous les pensionnés du prince Charles.
Veuillez aussi me faire connaître si la conscription a toujours lieu et si mon frère Joseph a déjà atteint l’âge pour tirer au sort. Il y a ici quelques militaires à qui leurs Parents on demandé un Certificat constatant qu’ils existaient au Corps, pour servir à exempter leurs frères qui ont atteint l’âge de la conscription et d’après ce que j’ai entendu dire, il doit y avoir une loi pour ce sujet, mais je ne sais point si elle exige, que, soit le Père ou la Mère doit être décédé ou non ; en conséquence je vous prie de vous en informer et tacher, s’il est possible d’en exempter mon frère Joseph. Monsieur Pineaud, notre gros Major, parti d’Anspach le 1er Avril dernier pour rejoindre le dépôt du régiment, a eu le malheur de se tuer dans sa chambre le 24 dudit, avec un pistolet, on ne sait le motif de cette folie, il est remplacé par monsieur Juillet sortant du 50ème Régiment de ligne.
J’espère que vous êtes tous en bonne santé, quant à moi je me porte toujours bien, Grâce à Dieu, malgré que j’ai essuyé quelques chagrins pour une charmante demoiselle, (Amélie est son nom), que j’ai dû quitter en partant d’Anspach, vous me direz qu’un militaire de mon espèce ne peut que très peu de choses de la connaissance d’une demoiselle, mais je vous assure, qu’elle portait parasol et réticule, ainsi ce n’était point de la petite bière. Parlons de ma chère Maman, après que vous aurez lu l’article de Mademoiselle Amélie, elle dira que je suis un jeune homme perdu, que cette connaissance m’aura débauché, et que je suis dans le cas de faire une folie, enfin, il me paraît que je la voie joindre les mains en disant : « Mijn zoon die is verloren ». Mais vous pouvez la rassurer qu’aucun sujet de ce genre est capable de me mettre hors le chemin de la bonne conduite. S’il y a quelques petites nouvelles ou accidents survenus entre la famille et amis, je vous prie de m’en faire part. Adieu Cher Papa, je vous embrasse de tout mon cœur et demande de tous les deux la bénédiction.
Votre très affectionné fils, VANESSE Charles.
P.S. Bien des choses honnêtes de ma part à toute la famille et amis.