Travemmude, 12 Novembre 1806.
Mes très Chers Parents,
Voulant vous donner de mes nouvelles autant que possible, je me hâte de profiter du séjour que nous faisons aujourd’hui dans cette ville pour vous écrire la présente, et malgré que je n’ai pas un moment à moi, je veux cependant vous donner un court détail sur les victoires que nous avons remportées sur l’ennemi depuis notre entrée en campagne. Nous étions déjà parvenus jusqu’à la ville de Halle sans avoir rencontré l’ennemi, mais à cette ville les Prussiens s’étaient rassemblés en nombre à la porte, et en défendaient l’entrée, sur le pont qui est sur la rivière dont je ne me rappelle pas du nom, mais deux divisions eurent l’ordre d’attaquer et de forcer l’ennemi à se retirer, ce qui fut exécuté avec tant de promptitude que l’ennemi fut mis en déroute au bout d’un quart d’heure avec une perte considérable, et poursuivi pendant deux lieues la baïonnette aux reins. Notre régiment ne perdit dans cette affaire que 3 hommes tués et 20 blessés. Le lendemain le Corps d’armée se mit à la poursuite de l’ennemi, qu’il aurait désiré rencontrer mais inutilement il fuyait à toutes jambes et nous n’attrapions que les moins habiles. C’est à quelques jours de là que le restant de l’armée de Saxe a mis bas les armes et défilé devant le corps du prince Bernadotte. Dans ma route j’avais pensé voir plus de bonheur que la dernière campagne, c’est-à-dire que j’espérais aller à Berlin puisque je n’étais pas allé à Vienne l’année dernière, nous en avions toujours suivi la route jusqu’à Brandenburg et je ne doutais plus de faire une visite à la Capitale, quant à cette dernière ville nous en quittâmes la route, en laissant Berlin sur la droite. Je n’ai pas non plus passé par Magdeburg ni Potsdam. Ayant été dirigé sur Defseau près de laquelle ville, nous avons passé l’Elbe. Nous avons encore marché pendant une huitaine de jours, sans apercevoir l’ennemi et aussi tranquillement que dans l’intérieur de la France, lorsque nous reçûmes l’ordre à Brandenburg de marcher doublement c’est-à-dire depuis 6 heures du matin jusqu’à 10 heures du soir, en continuant jusqu’à ce que l’on rencontre l’ennemi, mais après trois jours de marche forcée, on aperçut leur arrière-garde qui eut une petite querelle avec notre avant-garde, mais sans envie de se battre et pour donner le temps à leur armée de se retirer ce qui donna lieu à un redoublement de force pour les attendre, mais inutilement, n’apercevant toujours que quelques détachements de cavalerie qui soutenait leur retraite, ce ne fut que le 6 novembre à environ 2 lieues de la ville de Lubeck, que notre corps d’armée prit au moins 300 voitures de bagages Prussiens avec quelques prisonniers qui se rendirent à discrétion. Ensuite on s’achemina vers la ville où notre avant-garde se tiraillait déjà mais bientôt l’affaire s’engagea, l’ennemi avait des retranchements imprenables et il fallait des Français pour les enlever, 20 pièces de canons défendaient une porte qui était déjà défendue par une petite muraille et par les remparts, et par dessus laquelle ces pièces jouaient à mitrailler sur notre division qui devait pénétrer par cet endroit ; notre Régiment fut un des premiers qui escalada ces retranchements d’assaut.
Entré en ville, l’ennemi se défendait vigoureusement, les maisons étaient remplies et vomissaient une grêle de balles, rien ne put arrêter le courage de nos militaires, et en 4 heures la ville fut prise. Jamais courage ne fut plus grand, tout ce que la mort a de plus horrible paraissait fait pour les animer. Quel spectacle de voir les rues de la ville couverte de cadavres, morts ou mourants, des ruisseaux de sang inondaient les rues, la perte de l’ennemi fut innombrable tant en tués que blessés, une quantité prodigieuse de prisonniers et toute son artillerie qu’il a abandonnée. La perte de notre régiment est de 3 officiers tués, 9 blessés, 60 sous-officiers et soldats tués, et 140 blessés, point de prisonniers. Le lendemain on se mit à la poursuite de l’ennemi, mais, au bout d’une heure de marche, des Parlementaires se sont annoncés et le restant de l’armée demandait à capituler.
Ce qui fut accordé entre les Maréchaux Bernadotte, Murat et Soult qui firent jonction. Environ 4.000 hommes de l’infanterie autant de cavalerie et toute l’artillerie mirent bas les armes et se rendirent prisonniers. Tel est le résultat de cette affaire. On envisage la guerre avec la Prusse comme terminée, cependant l’on est dans l’incertitude si nous cantonnerons ou si nous continuerons notre marche sur la Pologne où l’Empereur veut marcher dit-on au devant des Russes, si cela est, nous en verrons des difficiles et nous serons enlégumés ! La campagne comme vous devez juger a été très pénible, avoir parcouru la Saxe, la Prusse et pays dépendants, remporté plusieurs victoires, le tout en 40 jours, cela n’est pas si facile à faire qu’un bon repas. Par rapport à la rapidité de notre marche nous avons beaucoup manqué de subsistances parce qu’on ne pouvait rien faire suivre et la troupe ne vivait que de ce qu’elle prenait chez les paysans ou bourgeois. Mais aussi quelle destruction que commettait-elle pas : le pillage, le vol, le feu, tout était à son comble et partout où nous avons passé il ne reste aux gens que yeux pour pleurer. C’est une chose abominable on ne peut y penser sans frémir, les Généraux qui voyaient tout ce fracas, semblaient par leur silence l’autoriser. Une chose qui est extraordinaire, c’est que de toute notre route nous n’avons pas eu de pluie, toujours un très beau temps, il faut croire que l’Etre Suprême protège les armées françaises.
Aussitôt un autre mouvement, soit pour cantonner ou pour continuer la guerre. Je vous en ferai part. J’espère que vous êtes tous en bonne santé, quant à moi, je me porte toujours à l’ordinaire. Adieu, adieu, vous êtes bien heureux de ne pas être l’attaché de l’Etat Militaire.
En route, je voyais tous les jours Jaspart, il se porte bien, et Kocks aussi.
Je l’écris dans la plus grande hâte. Adieu.
Ch.-J. VANESSE.