Accueil TEMOIGNAGES Une lettre du colonel Esnard au sujet du retour de Napoléon, en mars 1815…

Une lettre du colonel Esnard au sujet du retour de Napoléon, en mars 1815…

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Le colonel  Esnard, du 20ème régiment de ligne, était à Lyon en mars 1815 lorsque le maréchal Macdonald essaya, en vain, d’arrêter la marche triomphante de Napoléon vers Pais. Dans une note datée d’Issoire, le 25 novembre 1815, il a raconté le rôle qu’il joua dans ces événements, et sa narration rappelle tout à fait celle du duc de tarente. Il mentionne la réunion que Macdonald tint le 10 mars 1815, au matin, dans son logement ; mais Macdonald n’a pas dit dans ses « Souvenirs » que le colonel Esnard proposa de faire marcher les officiers seuls et armés devant les troupes de l’Empereur. C’est Exelmans qui commandait les deux bataillons que le duc de Tarente avait mis en réserve sur la place Bellecour, et qu’il appela en hâte du pont de La Guillotière.

Mais lorsqu’ Esnard arriva -et ici son récit est absolument conforme à celui du maréchal- il vit paraître les hussards de Napoléon qui franchirent les barricades avec l’aide du peuple et entrèrent dans la ville ; dès lors, comme dit le duc de Tarente, tout était fini. 

Arthur Chuquet. 

Je tenais garnison à Montbrison, lorsque, le 5 mars 1815, je reçus, par un officier de l’état-major de la 19ème division militaire, l’ordre du général Brayer de partir le 6 avec mon régiment, pour me rendre à Lyon, et de doubler la seconde journée de marche si la distance le permettait. Ce ne fut que le 7 mars, jour de mon arrivée en cette ville, que j’appris le motif de ce déplacement. J’en fis part de suite au régiment ; j’eus soin de rappeler, tant aux officiers qu’aux soldats leurs devoirs. Je leur recommandai surtout de repousser toute suggestion qui tendrait à les faire dévier du chemin de l’honneur dans lequel ils avaient constamment marché, et de suivre toujours l’exemple de leur chef. 

J’avais lieu de croire, qu’après la subordination et la bonne discipline qui régnait dans ce corps, que mes conseils auraient été suivis.

Cependant, je ne tardai pas à m’apercevoir que les soldats avaient été travaillés et que je devais peu compter sur eux dans une circonstance aussi critique. Dans une conférence que j’eux le 9 mars avec M. le Lieutenant-général Digeon, je ne lui dissimulai pas la mauvaise disposition de l’esprit des troupes ; mais je l’assurai en même temps que les officiers feraient leur devoir.  Le 10 au matin, lorsque M. le maréchal duc de Tarente rassemble chez lui les officiers de tous les corps de la garnison, je tins encore le même langage, et, pour preuve de mon dévouement et de celui des officiers de mon régiment, je proposai de faire armer ces derniers et de marcher à leur tête au-devant des troupes de Bonaparte pour les arrêter.  Si cette proposition, qui fut entendue de tous les officiers des trois corps qui se trouvaient alors à Lyon, eût été adoptée, peut-être mon exemple eût-il été suivi, et fût-il résulté un grand bien. Son Excellence, après nous avoir fait envisager les malheurs incalculables qu’attirerait sur la France la désobéissance des troupes, ordonna que chacun se rendit à son poste. Le 20ème régiment était en colonne serrée sur la place Bellecour.

Ce fut vers les 4 heures du soir que je reçus l’ordre de me porter avec les deux bataillons qui me restaient (le 1er bataillon se trouvait détaché), au pont de La Guillotière. Je me mis aussitôt en marche. Mais à peine eus-je débouché sur le quai, que j’aperçus sur le pont les hussards du 4ème régiment formant l’avant-garde de Bonaparte.

Dans ce même moment, passa M. le maréchal Macdonald à qui je demandai ses ordres. Son Excellence me dit de me porter en toute hâte à la tête du pont de La Guillotière. Mais lorsque j’y arrivai, la populace s’était portée en barricades et ouvert le passage aux hussards qui déjà s’étaient répandus dans la ville. Alors le général Brayer, que je rencontrai, me donna l’ordre de retourner prendre mon emplacement sur la place Bellecour.

Il sera facile de se convaincre de la véracité de tous ces faits, et que je n’ai souffert aucun drapeau ni fanion tricolore dans mon régiment jusqu’après la distribution des aigles. Ce qui a été si bien reconnu de l’Usurpateur que je suis le seul de tous les colonels qui se trouvaient à Lyon à cette malheureuse époque, qui n’ait eu ni avancement ni récompense, quoique l’un des p lus anciens de grade. Si, depuis, je suis resté à la tête de mon régiment, c’est que, guidé par un faux amour-propre, j’aurais craint, en me retirant au moment où il allait entrer en campagne, qu’on eût pensé que c’était par lâcheté. 

Le ministre saura apprécier les motifs qui m’ont déterminé à ne point abandonner mes drapeaux, et j’ose espérer qu’il ne me confondra pas avec ces hommes dangereux et dont on redoute l’influence. Au reste, ma conduite dans mes foyers prouvera que je suis digne de l’indulgence que Sa Majesté [Louis XVIII] daigne accorder à ceux de ses sujets qui ont été forcés de suivre l’impulsion de leurs chefs. 

(Document extrait de l’ouvrage d’Arthur CHUQUET, « Lettres de 1815. Première Série [seule parue] », Paris, Librairie Ancienne, Honoré Champion, Editeur, 1911). 

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