Accueil TEMOIGNAGES Les ALLIES à PARIS en 1814, d’après les « SOUVENIRS» d’Emma CUST (2ème partie).

Les ALLIES à PARIS en 1814, d’après les « SOUVENIRS» d’Emma CUST (2ème partie).

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Avant l’arrivée du Roi, Monsieur tint cour aux Tuileries et nous y fûmes un soir, Lady Castlereagh et moi. Son Altesse Royale parla avec émotion et reconnaissance de l’accueil que le Roi et Madame la Duchesse d’Angoulême avaient reçu à Londres et du prince régent et du peuple. C’était Madame qui lui avait fait ce récit, et elle remarquait dans sa lettre que cet accueil serait à peine surpassé à Paris, quelque apparence de joie, et l’air retentissait des cris de « Vive le Roi ! Vive les Bourbons ! ». Mais on ne croira jamais que les vieux soldats de Bonaparte –et chaque homme, même les cochers de fiacre, a été soldats- aient éprouvé réellement beaucoup de joie en cette occasion. Ce fut le 3 mai 1814. Le cortège alla d’abord à Notre-Dame, où on dit la grand’messe et chanta le Te Deum. Puis on se rendit aux Tuileries en passant sur la place [Celle de la Concorde] où l’infortuné Louis XVI, sa femme, la malheureuse reine, et son innocente sœur tombèrent victimes des tigres révolutionnaires. Quels durent être les sentiments de la Duchesse d’Angoulême lorsqu’elle revit ainsi le théâtre de si tristes souvenirs ! Pauvre femme ! La gravité de son visage où l’on ne voyait ni joie, ni transport, prouvait que ses pensées habitaient plus dans le passé que dans le présent ! Mais pour d’autres ce présent semblait beau et tout à fait français. Le Carrousel était rempli de soldats et de musiques qui jouaient. La voiture royale allait au pas, précédée par des groupes de jeunes dames en robe de bal ; elles n’étaient que fleurs de lys ; à la ceinture et sur la tête, des fleurs de lys ; dans les mains, de gros bouquets de fleurs de lys ; dans les mains, de gros bouquets de fleurs de lys qu’elles jetaient sur leur passage. Tout cela (chose assez singulière), je le voyais de la même fenêtre d’où, en 1802, j’avais vu Bonaparte, Premier consul, passer la revue de ses troupes ! Quand tout fut fini, nous eûmes à traverser la place du Carrousel à pied pour regagner notre voiture et, ce faisant, nous passâmes au milieu de la Vieille Garde qui ne nous regarda pas aimablement. Bientôt après, le Roi et Madame tinrent cour le soir pour les dames : le Roi, dans le grand appartement d’en haut, et Madame, au rez-de-chaussée. Lady Castlereagh, comme femme d’ambassadeur, était reçue à part, et je passai ainsi avec Lady Lansdowne et Lady Ossulston.  Je craignais un peu a présentation au Roi, car Sa Majesté, Monsieur et les Duc d’Angoulême et de Berry, entourés des grands fonctionnaires de l’Etat, étaient tous placés à un extrémité de la pièce, et nous, entrant par une porte à cette même extrémité, nous avions à marcher le long des trois autres côtés, une dame suivant l’autre à grande distance à cause de nos longues traînes. Aussi, lorsqu’enfin je me trouvai en face du Roi, etc., je me sentis si timide que j’eus à peine assez de présence d’esprit pour faire mes révérences et je n’entendis rien de ce que me dirent Monsieur et le duc de Berry que j’avais connus tous deux dans la société anglaise. Nous descendîmes ensuite à la réception de Madame d’Angoulême qui, parce qu’elle avait lieu dans une pièce plus petite, était beaucoup moins imposante.  Le Roi et Madame paraissaient en cérémonie à quelques-uns des théâtres et nous allâmes les voir au Théâtre Français. On jouait, je crois, « Antigone », où plusieurs passages avaient un « rapport » avec la situation du Roi et de Madame ; ils furent tous saisis par l’auditoire et applaudis bruyamment. Mais ces applaudissements, au lieu de m’animer, ne faisaient que m’affliger, car je voyais le visage attristé de la pauvre duchesse. J’étais d’ordinaire impatientée d’entendre les cruelles remarques qu’on faisait sur elle : « Elle est maussade, elle n’a pas de grâce, elle est mal mise (le pire défaut aux yeux d’une Française), etc., etc. » Mais imagine-t-on qu’elle puisse oublier toutes les horreurs qu’elle a traversées au Temple dans sa jeunesse et qui finirent par sa détention dans cette prison solitaire ? Pense-t-on qu’une si grande infortune ait cessé de laisser la marque dans l’endroit même où elle a souffert ainsi ? Pauvre, pauvre femme ! En la regardant, j’aurais pleuré ! Un autre spectacle intéressant fut l’ouverture des Chambres par Louis XVII. Il était accompagné des grands officiers de la cour, de Monsieur et de ses deux fils, du vieux prince de Condé, père du duc de Bourbon et grand-père de ce duc d’Enghien qui a été assassiné ; le pauvre prince était si faible et il avait le pas si chancelant qu’on dut le soutenir de chaque côté. Le cortège, à dire vrai, n’était pas si brillant ni propre à satisfaire la vanité des Parisiens et leur goût pour la parade théâtrale.

Le Roi, bien qu’il eût la physionomie belle et intelligente, était alourdi par sa corpulence et disgracieux dans ses mouvements. Les deux jeunes princes avaient l’air franchement insignifiant et commun, de sorte que leur père, Monsieur, qui a été très joli homme et qui garde un air très distingué, était le seul à qui seyait le costume porté par les princes en cette occasion : manteau de satin bleu et chapeau à plumes blanches à  la Henri IV : pour tous, excepté pour Monsieur, ce costume était au moins un pesant fardeau.  Après le départ du Roi et de la famille royale, nous restâmes encore un peu, et le contraste entre la Chambre des Communes et la Chambres des Députés nous amusa : les membres s’élançaient du côté droit et du côté gauche, leur discours dans les mains, et se rencontraient à la tribune où ils devaient parler, sans que l’un voulût faire place à l’autre, et le président, au-dessus d’eux, faisait vainement retentir sa sonnette. Peu de choses m’ont surprise à Paris autant que l’accueil que reçut le duc (depuis marquis) de Wellington le premier soir de son arrivée ici.

Il venait de Toulouse où il avait gagné la dernière bataille de la guerre [La bataille de Toulouse ; le 10 avril 1814] ; il avait dîné avec lord et lady Castlereagh, moi et M. Planta.  Le duc était simplement vêtu, sans décoration qui pût attirer l’attention, et il s’assit au fond de la loge ; mais un spectateur du parterre le reconnut presque aussitôt.

Une voix cria « Vellington ! » [sic].

Ce cri fut repris par d’autres, et finalement tout le parterre, debout et tourné vers la loge, cria « Vive Vellington ! ». Il ne cessa ses acclamations que lorsque le général se fut levé pour saluer l’assistance.  A la fin de la représentation, en ouvrant la porte de la loge, nous trouvâmes le passage obstrué ; ma pauvre tante, effrayée, recula, mais le duc, toujours brusque, dit : « Venez donc » ; il l’entraîna. M. Planta et moi, nous le suivîmes, et j’entendis alors un Français qui disait à un autre : « Mais pourquoi l’applaudissez-vous tant ?  Il nous a toujours battus ». C’était très vrai, et une question fort naturelle ; mais la réponse fut charmante et me reporta au temps des preux chevaliers : « Ouis, mais il nous a battus en gentilhomme. » 

A suivre… 

 

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