Boersdorff, 27 juillet 1813.
J’ai eu bien du bonheur, mes chers parents, d’avoir été détaché à la garde du parc, la maladie régna dans notre camp. Il entre tous les jours au moins 50 soldats à l’hôpital. Plusieurs de nos officiers sont malades, nous avons déjà eu le malheur d’en perdre un, ou atteints de cette maladie du mauvais pain qu’on donne, encore maintenant n’en donne-t-on que demi-ration ; dans le village où nous sommes, toute notre compagnie mange de très bon pain et est très bien nourrie. Aussi n’en avons-nous que trois ou quatre de malades. M. Serclet attend de jour en jour son ordre de départ. M. Fromentin, le lieutenant de ma compagnie qui vient de nous rejoindre part aussi. J’ai reçu ces jours-cy une lettre de M. Eve ; j’ai eu en outre des nouvelles par un soldat blessé de ma compagnie qui était dans des hôpitaux de Dresde. Il m’a raconté que M. Eve y avait un très grand soin des malades en général, grondant tous les jours les directeurs et employés qui négligeaient les blessés. Je l’ai vu, m’a-t’il-dit, faire plusieurs charités, donner de l’argent aux pauvres blessés. On nous a payé deux mois ; le jeune Lapiere se trouvait sans argent étant sur le point de passer maréchal des logis. Il m’en a demandé ; je lui ai donné 50 francs que vous remettront ses. Je vous prie de les faire passer à Mme Eve ; profitant de votre permission je demande 100 francs à M. Eve, par conséquent je ferai passer plus tard à Mme Eve les 50 autres francs et 5 fr.30 que M. Eve a déboursés pour frais de poste. Je sais que je vous dois encore les 100 francs que le général Barrois m’a donnés. Je vous les rendrai dans un autre moment lorsqu’on me paiera mon indemnité ‘entrée en campagne. Cela et trois mois qu’on me doit encore font 554 francs. Je viens d’acheter pour 70 francs d’effets de remplacement, un pantalon 24 francs ; j’ai fait faire 2 paires de souliers. J’ai racheté des bas et de la toile pour raccommoder ma paire de bottes car il paraît que nous allons trotter. On vient de donner à chaque soldat 3 paires de souliers. J’ai racheté des bas et de la toile pour raccommoder mes chemise et me faire un canneson [sic]. Je me suis fait faire une paire de guêtres. Je crois que M. Serclet passera à Wenden où est notre petit dépôt, alors il vous rapportera mon grand uniforme, mon charivari et ma redingote que vous voudrez bien faire réparer. Adieu mes chers parents, embrassez mes frères pour moi et croyez au sincère attachement de votre dévoué et respectueux fils. Bonjour à Marie, à Catherine et à sœur Marthe.
Signé : MADELIN
Mes respects à maman Madelin, au cousin et à la cousine Naquard, à mon oncle Marcelin, aux dames Eve et aux dames Desforges.
———-
Boersdorff, 13 aoust 1813
Nous sommes sur le point de partie mes chers parents ; la campagne recommence à ce qu’il paraît. En partant de Toul, je n’étais pas si bien portant que maintenant. Je vous réponds que ce mois de tranquillité que je viens de passer chez ces braves gens m’a fait du bien. Ce bon maître d’école et sa femme déjà m’étaient bien attachés. Depuis qu’ils savent que je dois partir, ils ne font que de pleurer ; ils viennent de mettre dans mon sac, une serviette et deux cravates. On dit que messieurs les russes toujours très fidèles à la foi des traités, viennent avant la fin de l’armistice de passer l’Oder et de s’établit à Breslau. C’est un « on-dit ». C’est par M. Serclet que je vous écris car il est sur son départ. Il y a au régiment un officier qui doit 50 francs à M. Serclet ; il ne pouvait lui donner maintenant. M. Serclet était très embarrassé de sorte que je me suis offert à toucher ici son argent. Vous voudrez bien lui remettre à Toul les 50 francs ? Dès que je l’aurai touché, je le ferai passer à M. Eve qui vous l’enverra. J’attends le coup de canon, signal de notre départ. Ma musette est là, prête à être mise sur mon dos. A la première halte, je vous écrirai. M. Serclet est pressé ; je ne veux pas le faire attendre. Adieu mes chers parents, je charge M. Serclet de vous embrasser ainsi que mes frères et tous mes parents.
Croyez au sincère attachement de votre dévoué et respectueux fils. Signé : MADELIN.
———
Aoust 1813
Mon bon Jules,
Ta lettre m’a fait le plus grand plaisir, je vos que tu ne m’oublies pas. Je te réponds que pour moi, je pense souvent à toi et à Madelin [frère aîné du jeune officier]. Voici les vacances qui approchent, je te souhaite beaucoup de plaisir. J’espère bien pour moi si la campagne recommence aller les passer en Pologne. Je me plais toujours beaucoup dans mon régiment ; hier encore, je suis allé dîner chez notre colonel qui a beaucoup de bontés pour moi. Tu verras par ma lettre, que voilà près de trois semaines que je passe bien tranquillement. Je crains bien d’être relevé ces jours-cy. Mets de temps en temps de petits billets pour moi dans les lettres de mon papa ; cela me fera grand plaisir. Adieu mon cher et bon frère. Embrasse Madelin pour moi, dis-lui que j’attends sa réponse et crois au sincère attachement de ton dévoué frère et ami.
Signé : A. MADELIN.
Si tu vois Thierry Cadet et Victor Gérard, dis leur bien des choses de ma part. Lersberg, le 20 aoust 1813.
M. Serclet qui est encore resté quatre jours avec nous, vient de recevoir son ordre de départ. J’ai saisi un instant où nous sommes arrêtés pour vous écrire. Nous voilà rentrés en campagne, le canon ronfle à une lieue d’ici. C’est le 11ème corps qui donne ; notre compagnie est encore attachée au grand parc. J’espère que nous serons relevés ces jours-cy. Tenez, je n’avais pas fini ma phrase que j’entends dire que nous sommes relevés. M. Serclet vous dira dans quel piteux état est ma chaussure sans avoir de moyen de la remplacer, maintenant étant en route. Je viens de recevoir une lettre de mon frère datée de Nancy. Il paraît qu’il a encore été malade. Cela m’a fait bien de la peine. On part [lettre peut-être inachevée].
Signé : MADELIN. 22 aoust 1813. 40 francs. M. Serclet a payé pour moi une paire de bottes, une paire de souliers et un ressemelage de bottes. Je n’ai que le temps de vous embrasser. M. Serclet vous donnera des nouvelles de l’affaire d’hier. Votre respectueux et dévoué fils.
Signé : MADELIN Saint-Mihiel, le 20 novembre 1813.
———-
Monsieur,
Puisqu’enfin vous avez connaissance de la mort prématurée de votre cher et infortuné fils, d’après ce que cet officier a écrit à sa famille (ceci n’est pas très clair quoiqu’il y ait malheureusement du rapport avec ce que je sais depuis longtemps). J’ai cru devoir vous taire cette fatale nouvelle tant après un mouvement naturel de ma part, que d’après la recommandation de Mlle Chardon, qui m’a conseillé ainsi que mon parent Colomb que je devais attendre d’avoir d’autres nouvelles plus satisfaisantes ; et ce afin de vous en donner le détail douloureux qui est parvenu à ma connaissance le 30 ou le 31 août. Je me trouvais à environ 40 à 45 lieux de distance du régiment à Meissen sur l’Elbe, près de Dresde, lorsqu’une cantinière (la même qui me donna de l’eau-de-vie, le 21 août, pour envoyer à notre cher ami) cette femme nous rejoignait pour se rendre au dépôt ; en m’apercevant elle me dit : « Monsieur, j’ai une bien triste nouvelle à vous apprendre, notre aimable M. Madelin est blessé d’un coup de feu qui n’est pas mortel si il est bien soigné ; elle l’a porté elle-même à une chambre haute et l’a placé sur des matelas, lui a donné un peu de liqueur ; ensuite l’a recommandé à des chirurgiens car elle ne pouvait rester près de lui, à ce qu’elle m’a dit. Il était déjà pansé ; c’est le 23 août aux environs de Goldberg qu’il a reçu ce malheureux coup.
Je ne puis vous peindre, Monsieur, avec quelle douleur et quelle sensibilité, j’ai appris cette triste nouvelle. Combien il m’en a coûté pour dissimuler une gaieté qui loin de dissiper mes peines, les augmentait encore plus en considérant Madame !
Cette tendre et respectable maman ! Qui en diverses occasions me parut si contente hélas ! Je me persuadais que c’était par trop de bontés et de complaisances pour nous qu’elle était si gaie. Plusieurs fois, mon épouse m’a fait redoubler de soins pour ne point divulguer mon trop pénible secret, car il me semble que nous ne pouvions augmenter le malheur, mais plutôt disposer les tendres père et mère à supporter un deuil auquel ils devaient s’attendre d’un instant à l’autre.
Cependant, j’espère encore, car il est probable que le généreux et tendre M. Eve qui en parle dans sa lettre du 4 septembre l’a vue après qu’il eut connaissance de ce fatal accident. S’il dit que votre cher Auguste se porte bien c’est qu’il a des espérances. La dangereuse maladie de M. Eve a mis ce respectable ami dans l’impossibilité de soigner votre cher blessé, puis une autre infinité d’autres circonstances qui ont contrarié nos vœux. Je vous supplie mon cher Monsieur Madelin et Madame, la trop déplorable maman, de ne pas perdre espoir tout à fait. Je vous ai dit sincèrement la vérité ; j’espère encore moi-même, quoique partageant avec vous tout le poids d’un aussi pénible malheur. Mon épouse n’est pas moins affligée que moi, et elle partage bien sincèrement votre juste douleur. Étant dans la douce espérance que vous recevrez Monsieur, des nouvelles moins accablantes ; je vous prie de me les procurer le plus tôt qu’il vous sera possible. Vous obligerez infiniment celui qui a l’honneur d’être avec le respect et la sensibilité la plus parfaite,
Monsieur et Madame, votre très humble et très dévoué serviteur,
Signé : SERCLET, officier retiré.
P.S/ M. Gay et M. Colomb me chargent de vous dire qu’ils partagent bien sincèrement vos douleurs. J’attends des nouvelles du régiment si elles vous concernent comme je l’espère, je me ferais l’honneur de vous en faire part.
Auguste Madelin est blessé mortellement lors du combat de Goldberg, le 23 août 1813. Il avait dix-neuf ans.
Ce témoignage fut publié en 1913 dans la « Revue des Études Napoléoniennes ».