Le 31 janvier 1814, le duc de Feltre [général Clarke, ministre de la Guerre] envoyait à l’Empereur un intéressant rapport. Tous les inspecteurs, les généraux-colonels des gardes d’honneur, disait-il, jugeaient que les chevaux de ces régiments étaient en mauvais état parce que les cavaliers, jeunes gens de famille, ne pouvaient, ne savaient en prendre soin. Il avait donc cherché « ce qui se pratiquait dans les gardes du corps sous l’ancien gouvernement » et il avait vu qu’ « on accordait, sur trois gardes, un palefrenier, ou Tartare pour soigner les chevaux ». Le ministre pensait donc qu’il serait bon d’accorder à chaque garde sur le pied de guerre un Tartare monté sur un cheval de 4 pieds 3 pouces. Ces tartares seraient en même temps employés comme éclaireurs ; leur uniforme différerait de celui des gardes ; ils auraient la solde et les masses de la cavalerie légère ; ils seraient admis par les généraux-colonels sur la présentation des gardes qui trouveraient aisément des hommes de leur département et qui, pour cette fois, se chargeraient de leur donner un cheval ; ce service serait d’ailleurs compté pour la conscription. Là-dessus, le duc de Feltre soumit à l’Empereur son projet.
I. Il pourra être passé dans les régiments de gardes d’honneurs, sur le pied de guerre, un palefrenier sous la dénomination de Tartare, à la suite de chaque sous-officier ou garde d’honneur, pour soigner son cheval. Ce Tartare, présenté par chaque garde au capitaine de sa compagnie et agrée par celui-ci, sera admis dans le régiment par le général-colonel.
II. Chaque Tartare ne pourra avoir moins de 18 ans et plus de 40 ans. A dater de son admission, il recevra la solde de soldat de cavalerie légère et aura droit aux mêmes masses.
III. Chaque Tartare devra être monté sur un cheval de 4 pieds 3 pouces. Les gardes d’honneur qui présenteront un Tartare, devront, pour cette fois, fournir son cheval. L’habillement, l’équipement et le harnachement lui seront fournis aux frais de l’État.
IV. L’uniforme des Tartares aura les mêmes formes et la même coupe que celui des chasseurs à cheval : l’habit-veste, le gilet, la culotte hongroise et le manteau-capote seront en drap gris : collet, liseré des revers, parements et doublures verts; boutons blancs; shakos noirs; buffleterie noire; bottes à la hussarde ; le harnachement du cheval sera le même que celui des éclaireurs.
V. Le service des Tartares leur sera compté pour la conscription; mais sous aucun prétexte, on ne pourra les tirer d’autres corps de la ligne.
VI. En campagne, les Tartares seront employés en éclaireurs; il y aura, dans chaque compagnie des gardes d’honneur, un officier et le nombre de sous-officiers nécessaires pour les diriger suivant les ordres des chefs.
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Napoléon ne signa pas le décret ; il n’en eut pas le temps et n’en vit pas l’utilité.
(Arthur CHUQUET, « L’Année 1814. Lettres et Mémoires », Fontemoing et Cie, Éditeurs, 1914, pp.33-34).