Ce témoignage émane du trésorier Guillaume Peyrusse. Ce fonctionnaire, travailleur et homme de confiance, est amené à collaborer quotidiennement avec Napoléon, lors de son séjour à l’île d’Elbe. Peyrusse a laissé un excellent portrait de l’Empereur qui a été reproduit in fine de son volume rassemblant une correspondance adressée à son frère André.
C.B.
« Pendant mon séjour à l’île d’Elbe, ayant eu souvent l’honneur d’être admis à travailler, à dîner, à jouer avec Sa Majesté l’Empereur, j’ai pu facilement contempler cet homme extraordinaire. A cette époque de sa vie Napoléon avait quarante-six ans ; sa taille était de cinq pieds un ou deux pouces [près d'1m68], sa tête était grosse ; ses yeux bleu claire ; ses cheveux châtains foncés et rares ; les cils de ses paupières étaient plus clairs que ses sourcils, qui étaient comme ses cheveux ; il avait le nez bien fait et la forme de la bouche gracieuse et d’une extrême mobilité ; ses mains étaient remarquablement belles et éclatantes de blancheur, il avait le pied petit, il était bien fait et bien proportionné à sa taille ; ses gants étaient simples ; sa seule recherche se bornait à une extrême propreté, ses vêtements n’avaient rien de remarquable. On a parlé de son goût pour le tabac, j’ai souvent remarqué qu’il en perdait plus qu’il n’en prenait ; c’était plutôt une manie, une sorte de distraction qu’un besoin réel. Ses tabatières étaient fort simples, ovales, en écaille noire doublées d’or, toutes parfaitement semblables, et ne différant entre elles que par les belles médailles antiques et en argent qui étaient encastrées sur le couvercle. S.M. portait presque toujours l’uniforme des chasseurs de la Garde, veste et culotte blanches. On a beaucoup parlé du goût passionné de l’Empereur pour les femmes : sans doute S.M. ne fut pas exempte de ces faiblesses amiables ; mais je crois que l’on a singulièrement exagéré leur nombre. L’Empereur trichait au jeu ; souvent nous voulions bien ne pas nous en percevoir, mais S.A. Madame Mère, dont j’avais souvent d’être le vis-à-vis, usait quelques fois d’un droit que nous ne pouvions nous permettre. « Napoléon, vous vous trompez ». S.M., se voyant découvert, passait sa main sur la table, brouillait tout, prenait nos napoléons, rentrait dans son intérieur où nous ne pouvions le suivre, et donnait notre argent à Marchand, son valet de chambre, qui, le lendemain, le rendait aux volés. L’empereur, qui connaissait les hommes, ignorait les femmes ; il n’avait pas vécu parmi elles : aussi ne les comprenait-il pas ; il dédaignait une si futile étude ; ses sensations étaient matérielles, il n’aimait pas les femmes savantes, ni qu’elles sortent de leurs attributions de famille ; une femme était à ses yeux une gracieuse créature, mais l’amour une folle préoccupation ».
Guillaume PEYRUSSE
Écrit à Porto-Ferrajo [Portoferraio], le 17 janvier [1815].
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Les « Mémoires » de G. PEYRUSSE viennent de connaître une nouvelle publication réalisée EDITIONS AKFG. Edition établie et annotée par votre serviteur