« 11 décembre 1815. J’ai été voir la place où est mort le maréchal Ney. En sortant de la grande allée perpendiculaire au palais du Luxembourg, il y a un mur à gauche; c’est à une vingtaine de pas de la grille qu’il fut fusillé. J’ai vu la place où il est tombé; on en avait remué la terre afin de faire disparaître les traces de son sang. On voit dans le mur six traces de balles, dont une est au sommet; il paraît que celui qui l’a tirée tremblait bien fort: le maréchal était trop près du peloton pour qu’on ait pu le manquer, si on n’avait pas été ému. Je ne puis dire combien j’avais le cœur serré, en pensant que ce héros, l’honneur de son pays, qu’avaient respecté pendant vingt ans les balles ennemies, était tombé sous le plomb français.
Sur le mur, un peu au-dessus des troues de balle, on avait écrit : « Ici est mort l’Achille français ». On avait déjà effacé ces morts, mais pas assez bien pour qu’on ne pût pas les distinguer. J’ai cherché vainement dans le mur, pour y trouver un des balles. Mais je n’étais pas le premier qui avait eu cette idée, et je n’en ai découvert aucune. J’ai trouvé une trentaine de personnes venues pour la même cause. Toutes avaient l’air fort tristes. Un vieux monsieur qui avait été témoin de ses derniers moments m’a assuré qu’il avait couru, de sa voiture, devant le peloton. Il avait une redingote bleue, un gilet, une culotte et des bas de soie noirs. Ses derniers moments ont été dignes de sa vie. Il est mort en disant : « Vive la France ! »
J’y suis retourné plusieurs fois ; on a maçonné le mur, afin de faire disparaître jusqu’aux moindres traces de sa mort. Tout ce qui pourrait rappeler le grand d’Elchingen a été soigneusement effacé. Je n’ai pas eu de peine à retrouver la place où il tomba, percé des balles françaises. Brave Ney ! Je t’ai vu de mes yeux chercher la mort dans les rangs de nos ennemis. Il semblait qu’elle craignait d’attenter çà une aussi glorieuse vie…
26 novembre 1816. Ce matin, j’allai au cimetière du Père-Lachaise pour y voir les tombeaux du maréchal Ney et de Labédoyère. On exhumait le premier, dont le cercueil de plomb était recouvert d’une bière en bois. J’ignore ce que vont devenir les restes de ce héros, l’Achille de son pays. Je suis resté longtemps à regarder la place où il était ; tous ses hauts faits me revenaient à la pensée. J’ai ramassé par terre une petite branche de sapin qui était plantée sur sa tombe et me suis éloigné. De là, je me suis rendu à l’endroit où repose Labédoyère. Un petit enclos et une croix noire en bois sont les seules marques distinctives que l’on voit sur son tombeau. En m’approchant d’un peu près, j’ai distingué ces mots écrit avec la pointe d’un couteau : « Honneur au Brave ! » J’y ai gravé un « V » [pour « Vengeance »], et suis sort du cimetière. »
(Extrait du « Journal d’un officier du 5ème hussards » (auteur anonyme), contenu dans l’ouvrage « Les Hommes de Napoléon. Témoignages, 1805-1815. Présenté par Christophe Bourachot », Omnibus, 2011, pp.897-898)