Dans le corps d’armée du duc Frédéric-Guillaume de Brunswick se trouvaient réunis onze fils de paysans du village de Ölper, proche de la cité ducale ; parmi eux les frères Heinrich et Andreas Möreke. Ce dernier a envoyé à sa famille une lettre datée du 22 juillet 1815 qui est parvenue jusqu’à nous et dont le contenu reflète encore l’émoi de son auteur lorsqu’il relate les combats de Waterloo.
Karl TRAUPE (de Brunswick).
Chers parents, chers frère et sœur,
Nous espérons que vous serez encore en bonne santé quand notre lettre vous parviendra.
Cher frère, ne nous en veux pas de ne pas avoir écrit plus tôt. Nous avons écrit une lettre le 12 juin, mais vous ne l’avez certainement pas reçue, car le 16 juin à minuit nous avons dû nous mettre en route et marcher 10 heures au-delà de Bruxelles et aller au feu le même jour. Le 16 juin, nous avons perdu notre duc bien-aimé [Frédéric-Guillaume de Brunswick-Wolfenbüttel, né en 1771 et tué le 16 juin 1815 aux Quatre-Bras]. Pendant trois jours, les 16, 17 et 18 juin, nous étions dans la bataille, et ensuite le Français a dû battre jour et nuit en retraites de 32 miles jusqu’à Paris [le bois de Paris, près de Lasne] et voulait s’y fixer. Mais comme les Prussiens et les Russes [ !] l’assiégeaient et lançaient de nombreuses bombes incendiaires, il décampa et se retira dans une forteresse [ ?].
Il y resta trois jours, dut ensuite la quitter, et parce qu’ils s’enfuyait par eau, les Anglais le prirent. Nous n’avons désormais plus rien à craindre
Cher frère, crois-moi, les balles, les cartouches et les bombes me passaient sans arrêt au-dessus de la tête en sifflant, comme si on semait des pois. Je suis resté au feu les trois jours complets mais le bon Dieu m’a cependant protégé. Hélas, beaucoup sont restés sur le champ de bataille, beaucoup de morts et de blessés. Ils gisaient les uns sur les autres, beaucoup avaient les jambes et les bras arrachés. Beaucoup rentreront à Brunswick éclopés et invalides. Nous avons fait 18 000 Français prisonniers et de nombreux Français sont tombés. Nous ne pouvions même pas avancer. De nombreuses voitures transportant des blessés sont tombées à l’eau. Nous avons pris 4000 canons que le Français avait abandonnés. Nous ne pouvons assez remercier le bon Dieu de nous avoir préservés. Nous sommes jusqu’à présent sains et saufs. Nous sommes restés quinze jours durant aux portes de Paris [s’agit-il ici de la ville ?] et y demeurons jusqu’à nouvel ordre ; car nous ne savons pas encore si nous allons avancer ou reculer.
Andreas MÖREKE
L’aspect fantaisiste de ce récit (présence des Russes, mention d’une forteresse, fuite des troupes françaises par voie d’eau…), est à noter. Il faut sans doute y voir l’état de grande désinformation dans lequel se trouvaient certains combattants de la bataille du 18 juin 1815.
C.B.
Document publié la première fois dans le Bulletin de la Société Belge d’Etudes Napoléoniennes, n°13, année 1991.