Obligé de lâcher Vitebsk, rattrapé par les cosaques, blessé et fait prisonnier, le général Pouget, comme on le voit dans ses « Mémoires », fut envoyé à Saint-Pétersbourg où la politesse russe ne put, selon son expression, adoucir l’amertume de sa captivité. Le 4 mai 1814, de Saint-Pétersbourg, il écrit au nouveau Ministre de la Guerre-le général Dupont [celui de Baylen !]- la lettre suivante. Il y raconte de nouveau la défense de Vitebsk et demande que le Roi l’emploie à Nancy. Il signe même, pour plaire aux Bourbons, « Baron de Pouget. »
Arthur CHUQUET
Monseigneur,
L’histoire de ma captivité est aussi courte que précise. Blessé aux tendons fléchisseurs du genou gauche le 18 août 1812 à la bataille de Polotsk, j’obtins de M. le général Saint-Cyr l’autorisation d’aller me faire soigner à Vilna où je fus transporté avec peine. J’ai reçu dans cette ville l’ordre d’aller prendre le gouvernement de la province de Vitebsk. Les ordres précis que j’avais de garder ce point me firent un devoir d’y attendre que je fusse attaqué par des forces bien supérieures. Il n’en fallait pas beaucoup. 600 hommes dont 400 n’avaient jamais titré un coup de fusil et 16 gendarmes pour toute cavalerie composaient ma garnison. Je fus attaqué le 7 novembre 1812 par 3.000 hommes d’infanterie et 1.500 de cavalerie. Je tins ferme. Je ne fis mettre le feu au pont qu’après l’avoir vigoureusement défendu. Je n’attendais aucun secours puisque le corps du duc de Bellune [Maréchal Victor], le seul qui pouvait m’en donner, était en retraite et déjà à vingt lieues de Vitebsk. Je me retirai en bon ordre sur Smolensk, toujours en colonne serrée et en me battant contre la cavalerie qui me serrait de près. Je fis ainsi quatre lieues en combattant depuis six heures de temps. Enfin, la cavalerie fondit sur ma petite troupe qui se laissa enfoncer. Je l’en accuse avec raison : avec 600 bons soldats français, ils ne m’auraient point entamé, mais c’étaient des soldats de Berg qui voyaient l’ennemi pour la première fois et que j’avais trop à cœur de sauver ; ils ne firent pas assez de feu et, sourds à ma voix, ils ne présentèrent pas même la baïonnette ; ils s’ouvrirent. J’en fus victime, car, en me défendant, je fus sabré et j’eus le bras droit luxé ; enfin, forcé de me rendre. J’avais heureusement l’honneur d’être connu de Sa Majesté l’Empereur Alexandre qui daigna me recommander et m’envoyer à Saint-Pétersbourg pour me faire soigner. Je fus, en effet, traité par un chirurgien de la cour et par l’ordre de Sa Majesté l’Impératrice régnante. Tant de bontés me pénétrèrent sans doute de la plus vive reconnaissance, mais n’ont pu adoucir l’amertume d’une première captivité. Lorsque je quitterai la Russie, je me rendrai à Nancy [D’après ses « Souvenirs de guerre », ce fut le 20 mai 1814, seize jours après cette lettre, qu’il reçut la nouvelle de sa mise en liberté, et le 4 juin, il quittait Saint-Pétersbourg ; quelques semaines plus tard, il arrivait à Nancy où il revoyait sa femme et ses enfants avec un bonheur inexprimable. »] où j’ai ma demeure. Je supplie Votre Excellence de m’y faire parvenir ses ordres, et si vingt-quatre ans de services, des blessures graves dont une me prive de la moitié du pied gauche, toutes les campagnes depuis 1792 pouvaient intéresser en ma faveur, je prierais Votre Excellence de vouloir bien demander pour moi au Roi la grâce d’être employé dans la 4ème division militaire où je pourrais être près de ma famille que j’ai à peine vue depuis dix-neuf ans de mariage. Je vous prie, Monseigneur, de vouloir bien agréer l’hommage de mon respect.
Le général de brigade,
Baron de POUGET, prisonnier de guerre.