Je viens de terminer la lecture du dernier livre d’Antoine de Baecque, « La France gastronome. Comment le restaurant est entré dans notre histoire » (Payot, janvier 2019, 234 p., 22,00€) et je n’ai pas été charmé par ce dernier.
Tout d’abord, cette étude ne concerne que Paris, le titre est donc bien inexact. L’auteur est fâché avec la géographie ancienne de la capitale, de ce Paris d’avant Haussmann. Pour lui la rue des Poulies, à Paris (actuel 1er arrondissement) où fut créé en 1765, l’ancêtre du restaurant, dans une ancienne boulangerie, est sur « l’emplacement actuel de la rue du Louvre ». Ceci est inexact car comme le montre les plans de l’époque, cette rue qui prenait naissance tout près de l’église Saint-Germain l’Auxerrois et qui allait jusqu’à la rue Saint-Honoré, ne couvrait donc qu’en partie un segment de la future rue du Louvre qui ne sera percée que bien plus tard.
Autre fait: la « rue de Grenelle » que de Baecque cite à multiples reprises, n’est pas, comme le croit ce dernier, notre rue de Grenelle, ancienne voie du Faubourg Saint-Germain, et aujourd’hui comprise dans l’actuel 7ème arrondissement. C’est plus exactement la partie sud de la rue Jean-Jacques Rousseau, située non loin de la rue des Poulies. Cette voie gardera le nom de « rue de Grenelle », puis de « rue de Grenelle Saint-Honoré » avant d’être fusionnée en 1868 avec la rue Jean-Jacques Rousseau (rue Plâtrière jusqu’en 1791). C’est dans tout ce secteur, situé non-loin du Palais-Royal (et y compris ce dernier, jusqu’ à son abandon vers 1840, au bénéfice des grands boulevards) que se tiendra le cœur de la gastronomie parisienne.
L’auteur emploie le nom de « Quartier Montorgueil » afin de désigner la rue éponyme où se trouvait le légendaire restaurant « Au Rocher de Cancale » (établissement créé en 1804 au n°61 de la rue Montorgueil avant de déménager en 1846, à la rue de Richelieu et de revenir plus tard dans cette même rue Montorgueil, mais au n°78) mais cette appellation de « Quartier Montorgueil » n’existait pas avant 1990 (avec la piétonisation de ce secteur et la métamorphose quasi-complète de ses commerces !). La rue Montorgueil, si vivante, a toujours fait partie du Quartier des Halles, appelation officielle, lesquelles, il est vrai, ont quitté le « ventre de Paris » en 1969 pour Rungis; mais ceci est une autre histoire…
Autre imprécision, pour A. de Baecque, la Terrasse des Feuillants est « l’actuelle rue de Rivoli ».Quel rapide raccourci historique et bien facile pour évoquer cette voie importante de Paris dont la création, sous le Premier Empire (pour la partie longeant le jardin des Tuileries) emportera notamment (et pas seulement) les derniers vestiges du Couvent des Feuillants !
Enfin arrêtons-là l’énumération de telles anomalies en signalant qu’Antoine de Baecque mentionne curieusement l’existence d’une « Porte Saint-Honoré, à l’ouest, au bas des Champs-Elysées».
Là, je ne vois pas, vraiment !
La seule porte de ce nom (une des entrées de l’enceinte de Charles V) et que je connaisse fut celle où fut blessée l’illustre Jeanne d’Arc, lors du siège de Paris dont les Anglais étaient les maîtres, le 8 septembre 1429, par un carreau d’arbalète. Une jolie plaque sculptée rappelle le souvenir de ce fait sur la face d’un immeuble et non-loin de la Place du Palais-Royal (devenue Place Colette). Notons que cet immeuble est mitoyen de l’emplacement du « Café de la Régence » (deuxième du nom), disparu en 1910, remplacé par un restaurant lequel disparu à son tour en 1974 et fut remplacé par l’Office du tourisme du Maroc. Il était situé au n°161 de la rue Saint-Honoré. Ajoutons, pour la petite histoire, que jusqu’à sa complète réfection (vers 2014/2016), le promeneur attentif pouvait voir sur la facade, quatres belles lanternes, uniques vestiges de cet établissement disparu…
Mais revenons à notre lecture… L’auteur qui aime à utiliser quelques mots synthétiques d’un « néo-français » dans son livre mais incompréhensibles (« ambianceur », « translater », « normés », etc.), offre au lecteur un ouvrage désordonné, ne respectant que bien peu un ordre chronologique défini.
On retiendra en substance que la création et l’évolution du restaurant eu lieu à Paris (navré pour nos provinces qui ne sont mêmes pas mentionnées dans ce livre !). De cette étude, je note la présence de quelques grandes figures: Beauvilliers, Grimod de La Reynière, Brillat-Savarin, Carême, Escoffier qui firent tant pour la renommée de notre gastronomie nationale !
Sur le même sujet, je ne peux que conseiller la lecture d’un ouvrage publié il y a déjà bien longtemps, en 1956, et écrit sous la plume de M. René Héron de Villefosse : « Histoire et géographie gourmandes de Paris » (Les Editions de Paris) ainsi que le petit livre de Patrice Boussell et intitulé: « Les restaurants dans La Comédie humaine » (Editions de la Tournellle, 1950) de plus un certain nombre de raretés sont désormais en ligne sur le site Gallica de la BNF; je pense aux ouvrages de l’inégalable Grimod de La Reynière et à plusieurs guides gastronomiques du Paris de l’Empire et de la Restauration (ce mot est bien choisi!), bien plaisants à lire, y compris pour le parisien du XXIème siècle.
C.B.