« Même en adhérant à la restauration de 1814, l’armée manifesta assez ouvertement le regret de renoncer à la cocarde tricolore. Le serment de fidélité au roi était prêté depuis plusieurs jours, que la cocarde blanche était encore absente des colback, des shakos et des bonnets à poil de plus d’un régiment. Il faut dire que c’était avec le même regret que vingt-cinq ans auparavant quelques-uns de ces régiments avaient substitué la cocarde de la république à celle de la monarchie. Je puis citer entre autres le régiment des hussards Berchigny, qui, traversant ma ville natale d’Arles, en 1792, avait manifesté si hautement ses opinions royalistes qu’il en était résulté des altercations violentes et même quelques duels avec les habitants dela Roquette, quartier d’Arles qui comptait beaucoup plus de monaidiers que de syphoniers, comme se désignaient alors les démocrates et les aristocrates de la ville. Cet incident n’était pas tout à fait oublié en 1814, lorsqu’on fut prévenu à Arles de la prochaine arrivée de ce même régiment de Berchigny, qui, devenu le 1er régiment de hussards dans la cavalerie impériale, fit effectivement, le 31 mai, son entrée dans notre ville alors livrée à toute l’effervescence de l’enthousiasme légitimiste. La belle tenue des hussards avait provoqué un murmure général d’admiration, et même des acclamations; mais un des spectateurs fit la remarque que ni le colonel, ni les officiers, ni les simples soldats n’avaient remplacé la cocarde tricolore par la cocarde blanche. Au murmure de l’admiration succéda bientôt un autre murmure qui exprimait un sentiment très peu sympathique, et quand les billets de logement leur furent distribués, les hussards reçurent l’accueille moins hospitalier. Des provocations s’ensuivirent, puis des rixes, des luttes corps à corps et tous les préludes d’une bataille générale, qui ne fut arrêtée que par l’intervention du colonel et du maire, d’accord pour promettre que le lendemain, à la parade, tous les hussards auraient la cocarde blanche à leurs shakos — ce qui eut lieu en effet; mais satisfaction plus complète encore fut donnée aux royalistes d’Arles, par une proclamation imprimée du colonel, affichée sur tous les murs et inscrite dans les registres de l’hôtel de ville. La voici textuellement, remarquable par la signature du colonel (allié de la famille impériale), par l’expression du plus loyal dévouement à la dynastie restaurée et par la plus complète réticence sur la querelle qui avait failli mettre toute la ville à feu et à sang.
Proclamation du colonel du 1er régiment de hussards.
« Habitants de la ville d’Arles, «Le 1er régiment de hussards, l’ancien Berchigny, vous remercie de l’accueil fraternel qu’il a reçu de vous. Fidèle au serment qu’il n’a pas attendu de se trouver sur les terres de France pour prêter à S. M. Louis XVIII, notre légitime et bien-aimé souverain, quelle joie ne doit-il pas éprouver de se trouver au milieu d’un peuple qui est pénétré de tant d’amour pour l’auguste dynastie des Bourbons !
« Habitants d’Arles ! A peine avons-nous goûté le bonheur nd’être parmi vous, qu’il faut déjà vous quitter; le régiment reçoit la plus digne récompense des sentiments et du bon espoir qui l’animent, dans l’ordre qui lui parvient de se rendre à Paris pour y servir sous les yeux du roi qu’il a juré de défendre.
« Recevez donc aussi l’expression de nos respects avec celle de notre reconnaissance; nous conserverons éternellement le souvenir de vos bonnes dispositions pour nous : pourriez-vous jamais perdre celui d’une union formée sous les auspices du cri chéri:
VIVE LE ROI !
«Pour le 1er régiment de hussards,
Signé: Le colonel Marius CLARY.
Arles, 31 mai 1814. »
(« Napoléon à l’île d’Elbe. Chronique des événements de 1814 et 1815. D’après le Journal du colonel Sir Neil Campbell. Le Journal d’un détenu et autres documents inédits peu connus… Recueillis par Amédée Pichot », E.Dentu, Éditeur /Revue Britannique, 1873, pp. 523-514).