Un nouvel extrait de l’excellent témoignage du trésorier Guillaume Peyrusse: « 5 mars 1815 . Dès la pointe du jour, M. le Grand-Maréchal me transmit l’ordre de Sa Majesté de cesser mes recherches et de rentrer. Je fis mon compte. Je trouvai un déficit de 37,000 Fr. Les rouleaux qui avaient échappé à nos recherches, avaient dû tomber dans le ruisseau, que la neige de la nuit avait grossi. Je rentrai à Digne, je m’assurai d’une voiture ; je congédiai avec largesse mes muletiers, je réglai avec M. le maire les fournitures faites. Ce fut à Digne qu’on imprima pour la première fois les proclamations que, pendant la traversée, l’Empereur avait dictées, à bord du brick, à tous les militaires qui savaient écrire, et qui se répandirent dans tout le Dauphiné avec la rapidité de l’éclair [1]. Le général Cambronne, avec une avant-garde de quarante grenadiers, eut ordre de s’emparer du pont et de la forteresse de Sisteron. Le général [de] Loverdo [2], trompé sur le nombre de nos forces, avait cru prudent d’aller replacer plus loin en arrière les troupes qu’il avait à sa disposition. C’était un point important qui eut pu ouvrir un passage aux troupes marseillaises, si le maréchal Masséna, qui les commandait, eut songé à s’opposer à notre passage. Je traversai Sisteron et rejoignis Sa Majesté à Gap. L’enthousiasme qu’inspirait la présence de Sa Majesté dans ces départements aux citoyens de toutes les classes, la sécurité parfaite avec laquelle l’Empereur poursuivait son entreprise, montraient assez quel était le vœu général de la province du Dauphiné. Avant de quitter ses habitants, l’Empereur leur exprima ainsi toute sa satisfaction :
Aux habitants des départements des Hautes et Basses-Alpes.
« Citoyens,
J’ai été vivement touché de tous les sentiments que vous m’avez montrés ; vos vœux seront exaucés. La cause de la nation triomphera encore !!! Vous avez raison de m’appeler votre père ; je ne vis que pour l’honneur et le bonheur de la France. Mon retour dissipe toutes vos inquiétudes ; il garantit la conversation de toutes les propriétés, l’égalité entre toutes les classes, et les droits dont vous jouissiez depuis vingt-cinq ans, et après lesquels nos pères ont tous [tant] soupiré, forment aujourd’hui une partie de votre existence.
Dans toutes les circonstances où je pourrai me trouver, je me rappellerai toujours avec un vif intérêt tout ce que j’ai vu en traversant votre pays. »
A deux heures de l’après-midi, nous quittâmes Gap. La population entière se pressa sur notre passage et accompagna notre entreprise de tous ses vœux. A St-Bonnet, les habitants voyant le petit nombre de soldats dont Sa Majesté était entourée, proposèrent de faire sonner le tocsin pour réunir les villages, afin de l’accompagner en masse. – « Non, dit Sa Majesté, je voulais venir seul, me confiant aux bons sentiments des Français… Restez tranquilles chez vous. » Sa Majesté vint coucher à Corps.
[1] « Ce fut dans cette ville qu’il [Napoléon] fit imprimer pour la première fois ses proclamations ; elles se répandirent avec la rapidité de l’éclair et enflammèrent toutes les têtes et tous les cœurs d’un dévouement si violent et si prompt que toute la population du pays voulait se lever en masse et marcher à l’avant-garde », (Fleury de Chaboulon, ibid., tome I, p.134).
[2] Le général Nicolas de Loverdo (1773-1837), d’origine italienne, commandait alors la place de Sisteron. Refusant de se joindre à l’Empereur, il laisse, dans la nuit du 4 au 5 mars 1815, entrer son avant-garde dans la ville. Sur cet épisode, lire le récit de Jean-Joseph Laurent de Gombert, maire de Sisteron (« Napoléon à Sisteron (5 mars 1815) », in « De l’exil au retour de l’île d’Elbe … », Teissèdre, 2000, pp.71-85).
En complément lire cet article totalement d’actualité: http://www.ledauphine.com/hautes-alpes/2015/03/04/gap-une-ville-en-effervescence