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Lettres d’Espagne…(Suite et fin).

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Lettres d’Espagne…(Suite et fin). dans TEMOIGNAGES espagne-2

Burgos, 25 mai 1811.

Comment se fait-il que, depuis ma dernière [lettre], je n’aie point reçu de vos lettres ? Vous ignorez combien je suis impatient de savoir si vous êtes toujours en bonne santé et si Perrette a repris ses roses et sa gaieté. Je ne serais tranquille qu’à votre première… [lettre ?] J’ai écrit au général, à son hôtel, à Paris, dont il m’avait donné l’adresse. Je lui ai témoigné le plaisir que m’a donné l’espoir de retourner bientôt à Paris dans les vieux grenadiers et lui prouver la vive reconnaissance que ses promesses m’ont inspirée. Il est certain que le cadre de notre régiment est rappelé par S.M. l’Empereur pour former celui du 2ème régiment de grenadiers. J’ai vu M. le colonel Bodelin à Burgos ; il m’a reçu avec aménité et m’a renouvelé les promesses faites à notre brave parent. Il m’a porté en notre et a sans doute parlé à mon colonel –major, M. Longchamp, puisque la nomination qui était en arrière a été accélérée et que j’ai été nomme fourrier dans la   1ère compagnie du 1er bataillon du même régiment, le 23 mai 1811. Mon adresse est donc changée.

Connaissant votre cœur et l’intérêt paternel que vous me portez, je suis persuadé que la nouvelle de mon avancement va faire disparaître les chagrins et diminuer les inquiétudes de mon absence, parce que vous ferez succéder à la qualité de fourrier des tirailleurs celle de fourrier des grenadiers de la Vieille Garde et, à l’Espagne, le nom le plus agréable de la capitale ; avant deux mois nous présumons y être arrivés.

Burgos, 30 juillet 1811.

Je crois que je vous ai marqué dans ma dernière lettre que nous devions partir pour la France le 20 de ce mois pour le plus tard. Je m’étais trompé. Je ne prévoyais pas combien il se rencontrerait de difficultés. Je ne puis les attribuer qu’au peu d’intérêt qu’y prennent les chefs supérieurs qui ne profitent pas de l’avantage que nous donne le décret de Sa Majesté. Les officiers et sous-officiers qui doivent remplacer nos officiers et sous-officiers sont nommés et arrivés, à l’exception des sous-officiers qui sont à Valladolid avec le régiment de fusiliers-chasseurs est ne partie cause de la lenteur qu’on y met, en ce qu’étant dans les montagnes depuis longtemps, les ordonnances qu’on lui a dépêchées ignorent où elles peuvent le trouver et ne l’ont point encore atteint. Vous pouvez m’écrire sans hésiter à Burgos la réponse à  la présente. Je pense que nous resterons assez longtemps pour goûter le plaisir de la recevoir.

Défaites-vous donc de vos inquiétudes sur mes besoins. Je suis au centre de l’abondance tant en argent qu’en vivres. Je vis avec mon sergent-major d’une manière très aisée et me trouve quelquefois à même de soulager beaucoup de malheureux soldats qui ont à peine de quoi exister. Vous pouvez penser qu’une telle position me fait éprouver bien des douceurs dont j’étais privé étant caporal. J’ai fait la connaissance du fils d’un de vos anciens amis, D…, de Cusset, sergent-major dans le 2ème voltigeurs de la Garde et avant fusilier-chasseur. Nos caractères et notre manière de penser se sont parfaitement accordés. Nous nous sommes promis une amitié éternelle. J’ai cru voir en lui des qualités assez belles pour me faire désirer qu’il tint son engagement comme je suis décidé à garder le mien. Nous nous écrivons ; il est depuis quelque temps à Logroño, garnison charmante que j’ai regrettée, mais que je ne changerais pas pour Burgos où je trouve encore plus d’avantages.

Au passage de mon ancien régiment ici, j’ai eu le plaisir  de rencontrer et de recevoir le mieux qu’il m’a été possible, plusieurs de mes camarades d’infortune. Je veux dire de ceux avec lesquels je suis parti de Clermont[-Ferrand].

Burgos, 2 septembre 1811.

Peu de jours après l’envoi de ma dernière lettre de Burgos, nous reçûmes l’ordre de partir pour Valladolid où nous pensions rester quelque temps et où nous ne fîmes seulement pas séjour. Nous dirigeâmes notre marche sur Astorga, dans la province de Léon et frontière de Galice ; ville assez forte, où s’étaient retranchés plus de 40,000 Espagnols ou Anglais, principalement des premiers. Nous brûlions tous du désir de les rencontrer, nous flattant de pouvoir nous venger des courses fréquentes et presque toujours inutiles que nous n’avions cessé de faire pour joindre les partis qui occupent les montagnes. Nous fûmes encore trompés ; ils n’osèrent pas nous attendre. Supérieurs en nombre et par leur position, ils s’enfuirent à notre approche. Notre cavalerie les poursuivit à plus de six lieues d’Astorga, fit quelques prisonniers et leur tua plus de mille hommes.

Nous sommes restés plusieurs jours au bivouac sous ses murs, sans pouvoir nous écarter hors de la ligne des factionnaires, rationnés en pain et en viande, ce qui ne nous était arrivé depuis longtemps, faute de vivres, et exposés à la chaleur dévorante d’un ciel six fois plus chaud que celui de France. Enfin, malgré notre colonel qui est la seule cause que nous ne sommes pas en France et qui ne pouvait se résoudre à nous laisser partir, l’ordre positif est arrivé.

Nous avons fait, pour venir à Valladolid, en trois jours, le même chemin que nous avions fait en six, c’est-à-dire 56 lieues de poste. Vous pouvez penser qu’une telle route nous exténués et que nous aurons bien besoin du triple séjour qu’on nous accorde. Je présume que je serai bien près de la France, si je n’y suis pas encore, lorsque vous recevrez la présente. Aussitôt après, écrivez-moi à Bordeaux, poste restante.

J’espère avoir le plaisir de vous voir à Bayonne Monsieur M…, dont vous m’avez parlé dans une de vos lettres et être plus heureux que la dernière fois ; J’ai trouvé ici A…, fils du greffier. Nous sommes très liés ; nos caractères sympathisent parfaitement. Il était fusilier-chasseur lorsque je le vis à Angers pour la première fois depuis qu’il est soldat. Maintenant il est musicien dans le même régiment. Comme ça ne mène à rien et que je lui suis très attaché, j’aurais mieux aimé le voir fusilier, pouvant prétendre, par la bonne éducation qu’il avait reçue et des qualités brillantes à un prompt avancement.

Ne vous mettez pas en peine sur mes besoins pécuniaires. Si je n’ai pas assez pour ma route, je demanderai en passant à Bayonne un ou deux louis à M. M… Je vous en ferai aussitôt part. Je ne crois pas cependant être obligé à cette nécessité. J’en aurai plus besoin à mon arrivée à Paris pour me mettre au niveau des anciens sous-officiers. Mon adresse actuelle est à la 1ère compagnie du 1er bataillon du 2ème régiment des grenadiers de la Garde.

Je vous embrasse.

Le 4 octobre 1811, dans une lettre écrite de Bordeaux, le fourrier Franconin écrivait : « Je respire donc enfin l’air salutaire de ma patrie ! ». Il continuera de gravie les échelions de la hiérarchie militaire : sergent-major lors de la campagne d’Allemagne, en 1813,  il est lieutenant en second lors de celle de France.  Il se retrouve à l’île d’Elbe lors de l’exil de l’Empereur, dans les rangs du fameux Bataillon (4ème compagnie) constitué par Napoléon. La dernière année de l’Empire, celle de Waterloo, trouve Franconin avec le grade de lieutenant en premier, sous-adjudant-major. Sa carrière se poursuivra sous la seconde Restauration, puis sous la Monarchie de Juillet. Il participera à la conquête de l’Algérie et sera sérieusement blessé en novembre 1836, lors de la prise de Constantine. Retraité en 1849, il s’éteint sous le Second Empire, en 1857. 

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