« Napoléon fit son entrée dans Paris par la barrière de Fontainebleau et le boulevard de l’Hôpital. Il était entre six et sept heures du soir, et déjà nuit. Il passa rapidement, peu escorté, traversa le pont d’Austerlitz. La foule accourue sur son passage était immense, elle le reçut avec amour : on battait des mains, on criait à tue-tête : « Vive l’Empereur ! » ; moi plus qu’un autre. Le bataillon sacré de l’île d’Elbe n’arriva que dans la nuit et bivouaqua sur la place du Carrousel, et je le vis le lendemain. Ces braves gens furent reçus à bras ouverts : c’était à qui leur donnerait quelque preuve d’amitié. Leurs uniformes étaient en mauvais état, leurs bonnets à poil ras et pelés, leur teint bronzé. Ils semblaient harassés de fatigue. Jamais avant eux on n’avait franchi à pied, avec tant de rapidité, une aussi grande distance. Les jeunes gens des écoles, revenus à Napoléon, lui offrirent leurs bras et leurs cœurs Quel changement depuis 1814 ! Avec quel empressement nous nous rangeâmes dans les compagnies d’artillerie qui furent organisées ! Deux fois par jour, nous étions exercés au maniement des pièces dans le jardin du Luxembourg. Il régnait parmi nous un zèle, une ardeur admirables, un vif désir de faire oublier la lâcheté de notre conduite en 1814. Ce n’était point un attachement personnel non raisonné qui nous attirait vers Napoléon. La Restauration nous avait froissés de tant de manières que nous avions fini par le regarder comme le vengeur des soufflets qu’on nous donnait, comme le réparateur envoyé du Ciel. Combien il nous trompa ! Tous les régiments de l’armée furent successivement appelés à Paris, tous étaient animés d’une ardeur martiale, tous brûlaient du désir de venger nos derniers malheurs. Les vieux soldats retrouvaient dans un coin de leurs sacs la cocarde tricolore qu’ils y avaient soigneusement conservée. On voulut aussi essayer de réveiller l’esprit belliqueux des faubourgs, et un dimanche je vis défiler, sous le nom de fédérés, une masse compacte d’hommes de toutes les classes : ce rassemblement avait été organisé par la police et composé presque entièrement d’hommes de bas aloi ; ils avaient généralement de très mauvaises mines. Napoléon dut être peu flatté de la visite que ces messieurs lui rendirent aux Tuileries. Les écoles furent un peu honteuses de voir qu’on leur donnait de pareils auxiliaires. Une chanson du temps se terminait ainsi:
Savetiers, quittez vos savates. Charbonniers, venez dans nos rangs. Si les ennemis tombent dans nos mains. J’ réponds qu’ils n’en sortiront pas blancs.
(Docteur POUMIES DE LA SIBOUTIE (1789-1863), « Souvenirs d’un médecin de Paris… », Plon, 1910, pp.157-158)