« Vu de près, Napoléon paraissait plus petit, surtout à côté de sir George Cockburn [l’amiral], de haute stature et à la physionomie aristocratique ; il perdait aussi de ce grand air qui m’avait frappé à la première vue. Il était d’une pâleur de mort. Cependant ses traits, malgré leur froideur, leur impassibilité et quelque chose de dur, me parurent d’une grande beauté. Dès qu’il eut pris la parole, son sourire en chanteur et la douceur de ses manières firent évanouir jusqu’au moindre vestige de la crainte que j’avais jusqu’alors éprouvée. Il s’assit sur un de nos sièges rustiques, promena son regard d’aigle sur notre petit appartement et félicita maman sur l’heureuse situation des Briars. Pendant qu’il causait, je pus tout à loisir examiner ses traits : je ne me souviens pas d’avoir jamais vu une physionomie plus remarquable et plus frappante. Les portraits qu’on a faits de Napoléon donnent de lui une idée assez exacte; mais ce que nul pinceau ne saurait reproduire, c’est son sourire, c’est l’expression de son regard : tout ce qui, précisément, constituait son charme fascinateur. Les cheveux, d’un brun foncé, étaient aussi fins, aussi soyeux que ceux d’un enfant; ils l’étaient même peut-être un peu trop pour un homme, ce qui le faisait paraître légèrement chauve. Il avait les dents noires; j’ai su plus tard que cela provenait de son habitude de manger du suc de réglisse, dont il avait toujours une provision dans sa poche. »
(Mrs Lucia-Elizabeth ABELL (Betzy BALCOMBE), « Napoléon à Sainte-Hélène. Souvenirs…” Plon, 1898, pp.21-23)