« Ce n’était plus de jeunes hommes; soldats ils avaient traversé la Révolution et failli en Vendée, monter sur l’échafaud comme royalistes ; rentrés dans la vie privée sous l’Empire mais opposés aux Bourbons en 1814, ils saluent le retour de l’île d’Elbe ; César est députés ; Constantin maire, et bien qu’après Waterloo ils aient l’un et l’autre cessé leurs fonctions, arboré le drapeau blanc, les royalistes bordelais feraient volontiers un mauvais parti aux « brigands Faucher ». Ceux-ci ne sont pas disposés à se laisser massacrer et avertissent leur ami, le général Clauzel, qui a l’inconcevable légèreté de transmettre leur lettre au nouveau préfet de la Gironde. Et la tragédie se noue : perquisition chez les brigands qui recéleraient des armés; on ne trouve guère que celles d’anciens soldats et des pierriers, tout juste propres à faire du bruit et qui, liés ensemble, tiendraient sur la main d’un gendarme. Néanmoins des magistrats zélés font arrêter les jumeaux qui sont enfermés au fort du Hâ dans un cachot ignoble, infecté de « l’air méphitique d’une bouche de latrines ».-« On vous vous a donc ordonné de nous faire souffrir ? » disaient-ils au guichetier.-« On ne m’a point donné d’ordre, mais on me l’a fait entendre. »
Les chefs d’accusation manquaient de solidité ; pouvait-on, par exemple, reprocher sérieusement aux deux frères d’avoir voulu se défendre ? Aussi eut-on recours à ce grief vraiment inattendu : avoir comprimé par la force des armes l‘élan de fidélité des sujets du Roi.- Un beau procès à gagner, mais dont aucun avocat (dans une ville qui, comme Bordeaux, en était surpeuplée) ne voulut se charger. Ravez même, un ami des Faucher qui devait faire une belle carrière de politicien, se déroba et devant le Conseil de Guerre, les frères se défendirent eux-mêmes ; ils le firent éloquemment ; quand l’un était fatigué, l’autre le remplaçait : c’était la même voix ; et ils acceptèrent avec calme l’inévitable condamnation. « Le temps ordinaire de la vie est de soixante ans, disait César ; nous en avons cinquante-six, ce n’est donc que quatre que l’on nous prend ». Mais ils se rendaient bien compte de la valeur de leur mort et écrivaient à Davout : « Nous allons être fusillés par une de ces erreurs qui justifient les exaltations populaires. »
C’est à la Chartreuse, le cimetière de Bordeaux assez éloigné de la prison, que l’exécution devait avoir lieu. Quand l’heure sonna le 27 septembre 1715, les frères dormaient. « Ce n’était pas la peine de nous réveiller, » dit gaiement l’un d’eux, puis comme on les pressait de terminer leurs préparatifs : « Ah ! Ma foi, répondit Constantin, qu’on attende un peu ; j’espère bien qu’on ne partira pas sans nous. » Tout au long de la route, un imposant appareil militaire ; des cis de « Vive le Roi ! » puis une sorte de commisération pour ces deux hommes qui touchent à la vieillesse et cette fois n’échapperont pas à la mort comme en 1793… Debout, se tendant par la main, sans bandeau sur les yeux, les jumeaux s’embrassent et vont sep lacer devant le peloton. César commande le feu, tombe foudroyé; Constantin blessé seulement au ventre se dresse sur ses poignets et regarde son frère, un soldat l’achève d’un coup de fusil dans l’oreille. »
(Jean LUCAS-DUBRETON, « Le Culte de Napoléon, 1815-1848 », Editions Albin Michel, 1959, pp.41-43)
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Le sort des frères Faucher, n’est pas sans rappeler celui des frères Bacheville, autres fidèles de l’Empereur, qui ne durent leur salut qu’en quittant la France. L’un des deux, Barthélémy, a laissé un témoignage qui fut réédité en 2013 : http://lestafette.unblog.fr/2013/11/12/au-hasard-de-mes-lectures-2/