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Une attente insupportable…

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Les premières nouvelles de la défaite parviennent à Paris. Le comte Miot dont le gendre, le fils et le neveu étaient au nombre des combattants,attend, dans l’anxiété.

Le 18 juin au matin, le canon annonça le succès du début de la campagne, et la foule se porta avec plus d’empressement que jamais près du prince Joseph.

Mais dès le 20 au soir, les bruits les plus sinistres commencèrent à circuler. Je cherchai vainement à obtenir des détails positifs sur ce qui s’était passé à l’armée. Le prince Joseph n’avait encore reçu aucun courrier, et je rentrai chez moi à onze heures, tourmenté des plus vives inquiétudes.

Le lendemain matin il ne fut plus permis de douter de nos revers. Nous étions vaincus ; les champs de Waterloo avaient vu périr l’élite de nos armées, l’unique espoir de l’indépendance de la patrie, et quoique je ne connusse pas encore l’étendu des malheurs qui m’étaient personnels, tout ce que j’apprenais me remplissait d’effroi et des craintes les plus légitimes. L’Empereur était arrivé dans la nuit, et ce retour subit, en consternant toutes les âmes, acheva de lui ravir les derniers restes de l’affection publique. On ne pouvait expliquer, comment, dans un si grand danger, il avait abandonné l’armée, et les reproches les plus amers étaient dans toutes les bouches. J’appris pendant le cours de la journée qu’un conseil des ministres s’était réuni au palais de l’Elysée. Les princes Joseph et Lucien s’y trouvaient. L’Empereur offrit d’abdiquer une seconde fois, et la discussion s’ouvrit sur cette proposition.

Je sus que le duc d’Otrante avait opiné fortement pour l’accepter, mais que le prince Lucien s’y était opposé avec non moins de force. Il avait, au contraire, engagé l’Empereur à monter à cheval, à la tête de ses partisans, à marcher sur les chambres, à les dissoudre, enfin à se déclarer dictateur : seul moyen, suivant lui, de sauver la France et sa famille. L’Empereur avait hésité sur ce parti extrême ; son ancienne énergie paraissait l’avoir abandonné, et tous les autres membres du conseil s’étant, d’ailleurs, rangés à l’avis du duc d’Otrante, l’abdication fut résolue et envoyée sur-le-champ aux chambres qui créèrent un gouvernement provisoire. Déjà elles s’étaient déclarées en permanence, et avaient, dès l’ouverture de la séance du jour, garanti leur inviolabilité, en protestant contre toute atteinte qui leur serait portée. Ces particularités sont les seules qui soient parvenues alors à ma connaissance. J’ai su cependant plus tard que, dans l’intervalle de temps qui s’écoula entre l’abdication et le départ de l’empereur, le prince Lucien était revenu, sans plus de succès, sur l’opinion qu’il avait émise dans le conseil. Il avait, d’ailleurs, été trop mal accueilli dans les deux chambres où il parut en qualité de commissaire extraordinaire de l’Empereur, pour inspirer une grande confiance. Les temps étaient changés, comme je l’ai déjà fait observer, et, quoique le parti qu’il proposait présentât encore quelques chances en sa faveur, il est plus que probable qu’il eût échoué. Toutefois, à en juger, non pas dans l’intérêt de la morale ou de la France, mais dans celui de la gloire de l’homme, ce parti offrait sans doute une plus noble manière de périr. Une chose digne de remarque, c’est qu’au milieu du mouvement qui, pendant toute la journée du 21 juin, se manifesta avec tant de violence dans les chambres et dans les conseils du gouvernement, l’agitation des esprits, parmi les habitants de Paris, ne fut pas telle qu’il semblait que des événements si graves auraient dû la produire. Le calme le plus complet régna dans la ville et ne fut pas troublé un instant. Etait-ce courage ? était-ce indifférence ? Le temps a décidé la question. Ballotté de gouvernement en gouvernement, le peuple n’avait de l’affection ni pour celui qu’il perdait ni pour celui qu’on allait lui rendre. Il dormait, en attendant qu’à son réveil on lui dît s’il devait obéir à Napoléon II ou à Louis XVIII.

Je passai encore la journée du 22 juin à Paris. Dans un état d’angoisse qui brisait tous les ressorts de mon âme, j’allai de tous côtés chercher les nouvelles qui venaient de l’armée, espérant apprendre quelque chose sur le sort de mon gendre, de mon fils et de mon neveu. Tous trois, comme je l’ai déjà dit, servaient dans les grenadiers à cheval de la Garde impériale, et ce corps avait été, dit-on, presque entièrement détruit. Enfin, le 23 juin, une lettre de mon neveu m’apprit que le général Jamin avait été tué sur le champ de bataille à la tête de la troupe qu’il commandait, et que mon fils, atteint à ses côtés d’une balle qui l’avait frappé dans la hanche droite, était gravement blessé. Quant à mon neveu, il avait été dans cette fatale journée assez heureux pour n’être point atteint, et il ramenait mon fils sur un brancard qu’il avait fait construire pour le transporter. Les devoirs que m’imposaient ces tristes nouvelles absorbèrent toutes mes pensées. Je me rendis sur-le-champ à la campagne qu’habitaient ma femme et ma fille – qui restait veuve et enceinte –, pour essayer de faire passer dans leurs âmes quelque consolation.

Mon fils n’arriva que le 27 juin. Il avait été obligé de faire plusieurs détours pour éviter les partis ennemis qui déjà se répandaient sur les routes aux environs de la capitale. Sa blessure était beaucoup plus grave qu’elle n’avait paru d’abord. J’aurais voulu pouvoir le laisser à la campagne où il eût été en meilleur air et plus tranquille qu’à Paris ; mais il eût été trop exposé, et je fus obligé de le faire venir, ainsi que le reste de ma famille, dans le logement étroit que j’habitais à Paris.

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