« Au mois d’octobre 1812, eut lieu la conspiration de Malet. L’hôpital Saint-Louis, que j’habitais alors, est assez voisin de la caserne du faubourg du Temple, occupée à cette époque par un des deux régiments de dragons à pied qui formaient la garde municipale de Paris. Les deux régiments, trompés par de faux ordres émanés du général Malet, lui obéirent ponctuellement. Dès le matin, nous entendîmes un grand bruit dans la caserne. Je courus, comme tant d’autres, aux nouvelles. Je vis sur le quai de l’Horloge trois fiacres qu’on disait contenir une partie des conspirateurs. Le jour de l’exécution, je vis des détachements de la garde de Paris se rendant à la plaine de Grenelle, sans armes, leurs habits retournés. Une heure après l’exécution, ils étaient en route pour rejoindre l’armée en Russie. Ils arrivèrent en Pologne au moment de la retraite et furent détruits à la bataille de Leipzig. Dans les diverses relations qui ont paru sur cette affaire, je n’ai jamais vu qu’il fût fait mention de cette punition infligée à ces deux régiments. Un des accusés, que je connaissais beaucoup comme frère d’un de mes bons amis, parvint longtemps à se soustraire aux recherches de la police. Il se nommait Boutreux et avait été appelé par Malet à un haut emploi dans la nouvelle administration de la police. En cette qualité, il avait présidé à l’arrestation du duc de Rovigo et de M. Pasquier, ministre et préfet de police. Ce pauvre Boutreux fut enfin arrêté au mois de mars 1813 et fusillé huit jours après. C’était un homme de cabinet, très instruit, ne connaissant que ses livres, candide, naïf, et avec cela plein de courage; son calme, son inaltérable sang-froid, sa conduite pleine de dignité et de convenance lui valurent la sympathie du conseil de guerre, dont les membres auraient bien voulu le sauver. Le commandant Laborde, attaché à l ‘état-major de la place, présida à l’exécution; il n’était pas tendre, mais en voyant tant de jeunesse, tant de qualités réunies, il éprouva une profonde émotion. Ce fut le même Laborde qui s’élança sur Malet au moment où ce dernier venait de tirer un coup de pistolet sur le général Hulin, commandant de Paris. Il m’a raconté plusieurs fois tous les détails de cette affaire, et il joua un rôle si actif. Selon lui, Malet se démentit au moment de son arrestation : sa résolution l’abandonna et il se laissa lier, empaqueter et emballer dans un fiacre, presque sans opposer de résistance. »
(Docteur POUMIES DE LA SIBOUTIE (1789-1863), « Souvenirs d’un médecin de Paris… », Plon, 1910, pp.109-110)