Marie-Joseph-Quentin Playoult de Bryas était commissaire des guerres faisant fonction d’ordonnateur à la 12ème division d’infanterie; il est décédé sous-intendant militaire, le 24 mars 1829. Cette lettre est adressée à son épouse.
Au quartier-général de Voniskoe-Gorodistche, le 7 novembre 1812.
Au moment où nous allions monter la voiture, le général Partouneaux et moi, ce matin pour venir ici, un officier d’ordonnance est venu nous annoncer l’arrivée de M. le maréchal duc de Reggio [Oudinot] qui passait parle quartier-général pour aller rejoindre son corps d’armée qui pendant quelques jours a été fondu dans le nôtre ; peu d’instants après Son Excellence [le maréchal Oudinot] et j’en reçus l’accueil le plus flatteur. Si je n’avais été prévenu de son arrivée il m’eût été impossible de le reconnaître tellement il est changé ; il déjeuna avec nous ou pour mieux dire dévora quelques morceaux et partit comme un éclair après m’avoir chargé de le rappeler au souvenir de ma famille.
Sa blessure le fait encore souffrir, il est même estropié, mais il n’est heureux qu’où on se bat et le malheur qui le poursuit ne le dégoûte pas de voler partout où il y a des dangers à courir.
L’espoir que tu avais conçu de nous voir prendre des cantonnements à Vilna ou aux environs ne s’est pas réalisé, car comme tu le vois nous sommes toujours par voies et par chemins ; selon toute apparence cependant nous allons y entrer et c’est cette époque que nous avons fixée, le général Partouneaux et moi, pour solliciter ma rentrée en France. Si nous attendions le retour de la belle saison le chose deviendrait impossible, c’est une faveur qu’on n’obtiendrait pas à l’époque de l’ouverture d’une nouvelle campagne. Il faut donc saisir le moment puisqu’il est favorable. Le général est certain de la réussite, mais si contre toute attente je ne réussissais pas, j’obtiendrais au moins une résidence fixe, ce qui serait doublement avantageux, puisque je serai sûr de la régularité de notre correspondance et que je pourrai là compter sur la rentrée des sommes qui me sont dues, ce que je n’obtiendrai jamais tant que je serai employé dans une division active ; au reste, ce ne serait pas encore là mon compte, car mon unique désir est de me réunir à toi et de servir aussi efficacement l’Empereur que je le fais ici dans une résidence de l’intérieur, puisque ma santé ne me permet pas de le faire aux armées.
C’est aussi ce que j’ai l’espoir et la presque certitude d’obtenir. Depuis longtemps je suis privé de tes nouvelles et cela me contrarie fort, aussi enverrai-je après-demain M. Bouillon que je ferai escorter par quelques-uns de mes hussards porter cette lettre à la poste et chercher les tiennes ; il peut aller et revenir en un jour au grand quartier-général et c’est une corvée qu’il fera d’autant plus volontiers qu’il est amateur de savoir ce que le sort lui a réservé. S’il ne l’a pas traité favorablement, toutes mes mesures sont prises pour le servir dans cette circonstance et la chose m’a été d’autant plus facile qu’il s’est fait estimer par sa bonne conduite et par sa sévère probité ; c’est réellement un honnête garçon que je perdrais avec peine et je fais des vœux sincères pour qu’il n’en soit rien.
Depuis quatre jours il neige beaucoup dans ce pays, mais le temps est doux et la neige ne tient pas ; cela n’améliore pas les chemins, mais le moment est venu où il en tombera une grande quantité, alors les communications en traîneau seront faciles et promptes et c’est ainsi que je voudrais voler vers toi. Le général Partouneaux me comble d’amitié et de caresses, nous ne nous quittons plus, sa chambre est la mienne et sa table également, ses blessures le font cruellement souffrir [un coup de feu au genou droit reçu en 1793 à l’attaque de la redoute anglaise sous Toulon], et si cela continue il lui sera impossible de continuer de faire le dur métier de la guerre.
Bonsoir, chère bonne amie, je te fais mille caresses ainsi qu’à maman et à mes chers enfants.