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Le capitaine de Maltzen. Lettres (2).

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A sa mère.

Au Monte-Torrero, 22 février 1809.

Nous sommes enfin maîtres de Saragosse, chère maman. Je ne suis pas le premier à t’annoncer cette nouvelle, elle sera probablement sue à Paris, trois semaines avant la réception de ma lettre. Les canons des Invalides vous annonceront dans quelques jours que ce siège affreux est terminé. Nous attendons d’un jour à l’autre des ordres pour quitter l’Aragon. Je ne sais où on nous enverra. Nous présumons que c’est devant Valence, si cette ville ne s’est pas rendue, mais il est probable que la prise de celle-ci abattra les esprits de tous les fidèles serviteurs de Ferdinand VII. Saragosse  était le mot qu’ils nous jetaient toujours en avant lorsqu’on leur parlait des affaires d’Espagne. Nous sommes entrés dans la partie de la ville que nous n’avions pas conquise, après avoir vu défiler plus de 20,000 hommes, tant troupes régulières que paysans ; toutes les rues sont désertes et remplies de cadavres. Sur chaque porte on voyait des femmes et des enfants sans asile, pleurant, pourtant de faim, la mort sur la figure. Les maisons sont percées par les bombes. On ne sait ce que sont devenus les 60,000 habitants d’une des plus florissantes viles d’Espagne. On n’a pas mis d’ordre dans la manière font on été distribués les postes militaires dans les différents quartiers. Beaucoup de soldats se sont portés au pillage. On m’a offert des mulets de 25 louis pour 30 francs. Je n’ai pu faire ce marché, ne trouvant de fourrage nulle part. Les soldats commettent des excès qui les enrichissent. Les ordres les plus sévères, donnés pour les empêcher ne produisent pas d’effet. Les maisons que nous avons prises avant la reddition de la place étaient remplies de beaux meubles de toute espèce. Je suis possesseur d’un piano de toute beauté. Si je pouvais vous l’envoyer, mes chères dames, je suis persuadé qu’Henriette deviendrait musicienne. Si je suis en garnison à Saragosse, j’entrerai en marché avec mon hôte.

Je suis entré ce matin dans le palais de Palafox, ce misérable vient de mourir[1] dans une cave, dans les bras de Don Bazile, moine fanatique qui mériterait mille fois la mort. Mais le pardon est accordé aux plus grands scélérats. Cette mesure, quoique fâcheuse, est cependant dictée par la politique.

Il est impossible de faire la description de cet horrible siège et des dangers que nous avons courus, nous étions, au commencement, 35 officiers du génie ; 27 sont hors de combat à présent, tant tués que blessés. Tous les jours on montait à l’assaut par la brèche de quelques bâtiments, et il était rare qu’un des nôtres n’y versât pas son sang. Ce qu’il y avait de cruel, c’était de se voir blessé dans des endroits où on se croyait en sécurité. Je suis resté souvent dans des chambres dont les croisées étaient barricadées; les balles sifflaient à mes oreilles en passant par de petits créneaux et remplissaient ma figure d’éclats et de poussière. Enfin le siège de Saragosse offrira matière à l’Histoire.

Le 25 [février 1809].

Il court quelques bruits ici sur notre retour en France, et d’autres sur notre départ pour Valence. Cette dernière ville n’attendait  pour faire sa soumission que la reddition de Saragosse et d’après ce qui s’est passé, nous ne croyons pas que nous ferons ce nouveau siège. Celui de Tortosa  nous pend à l’oreille. Mais au moins ce sera un siège humain, d’après tout ce que nous pouvons présumer ; dans tous les cas, je te ferai part de tout ce qui pourrait m’arriver de nouveau. Pardon si je te parle si longuement d’affaires de guerre mais j’en ai  la tête remplie. Ne crois pas que nous ayons un instant de repos depuis que la ville s’est rendue. Tous les jours, non nous emploie à des travaux qui nous font regretter les jours de tranchée. On ne recueille que de la fatigue et de l’ennui.

Je suis étonné que tes lettres soient arrivées saines et sauves : les routes sont infestées de brigands. Pour que nous puissions avoir de nos nouvelles réciproquement, il faut nous écrire souvent.

Je t’avais annoncé la mort de Palafox, il est encore vivant, mais son ami Don Bazile a été fusillé hier. J’en reviens encore à Saragosse pour te dire qu’il y aura beaucoup de récompenses accordées pour les ingénieurs employés à ce siège. Tous ceux qui y auront été blessés auront probablement la croix. Beaucoup d’autres, non atteints par les balles ennemies, seront décorés aussi, mais leurs demandes sont appuyées par des sièges et des batailles en Allemagne et par 2 mois de tranchée devant Saragosse ; je n’ai rien de tout cela à offrir ; mais j’espère obtenir de mon chef d’attaque un certificat qui m’a été promis comme quoi j’ai conduit avec zèle, intelligence et bravoure toutes les opérations dont j’ai été chargé ! Cette note me servira en temps et lieu. Je désirerais voir Madrid avant de quitter l’Espagne, et faire quelques sièges qui me missent à même de ne pas revenir en France sans garniture à la boutonnière. Pour ce qui concerne les affaires de finance, nous nous ruinons tous ne Espagne. Je comprends dans ce nous les honnêtes gens, car il y a des pillards qui reviennent tout cousus d’or et qui n’ont pas rougi de demander la bourse et les chevaux à des officiers espagnols prisonniers de guerre. Nous ne pouvons pas vivre avec les mauvaises rations qu’on nous donne, de sorte que nous sommes obligés de nous adresser à des cantiniers qui vendent par exemple, 24 sols une chandelle, 7 francs la livre de fromage, 8 fr. celle de jambon, 9 fr. celle de sucre, 1 fr. la bouteille de vin, 6 sols la feuille de papier, etc. etc. Quelle différence de ces prix avec ceux des meubles et effets pris dans les maisons conquises à Saragosse ! J’ai vu vendre 3 fr ; des glaces de 25 à 30 livres. Les cantiniers revendent maintenant ces objets aux malheureux habitants de la ville, en sorte qu’ils gagnent l’impossible.n Je n’ai pas encore vu le général Junot. Il demeure à une lieue d’Espagne du mont Torrero. Je suis allé lui rendre visite trois fois sans avoir pu le rencontrer. Il est venu quelque fois à la tranchée en baissant la tête à tout instant, et étant inquiet partout où on le conduisait. Cela m’a étonné ; j’étais de service, il me questionna et m’ordonna de lui montrer où nous ne étions. Pour le conduire aux maisons les plus avancées dont nous étions maîtres, il fallait traverser une cour plongée par un clocher ennemi et où l’on jetait plus de 50 grenades par heure ; je l’avertis du petit danger qu’il y avait à courir, en l’invitant à se presser. Je pris les devants. Il se dispensa de me suivre en me disant qu’il voyait bien jusqu’où nos possessions s’étendaient. Du reste, il est brutal comme un grenadier et très haut avec tout ce qui l’entoure ; Avant-hier, i la traversé la ville à cheval à la tête de son état-major, de sorte qu’il accabla de coupes de canne, ma à propos, tous les soldats et sous-officiers qui le gênaient en chemin.

Depuis que je suis en Espagne, même dans les Pyrénées, il n’a pas fait froid un seul jour ; les chaleurs sont insupportables depuis le commencement de ce mois. J’ai trouvé des violettes à Tolosa le 28 janvier.

A sa mère.

Saragosse, le 4 mars [1809].

… Je pars pour une expédition. Je n’ai à moi que quelques instants…

A sa mère.

13 mars 1809. Monte Torrero, devant Saragosse.

…Ne crois pas que depuis que le siège est fini on nous laisse le temps de respirer. Journellement je suis en butte à des tracasseries de service. Cela tient à ce que je suis employé dans une compagnie ; tous ceux de mes camarades employés à l’état-major jouissent du plus parfait repos jusqu’à nouvel ordre ; et cet ordre tarde bien à arriver. Voici les conjectures que l’on forme sur la destination d’une grande partie de notre brigade du génie. On présume que nous serons employés à faire le siège de Lérida, Tortosa, Jaca ou Gérone ; ce qui nous conduira jusqu’à la fin de mai et qu’alors nous traverserons la France pour nous rendre au camp de Valence, s’il n’est pas dissous à cette époque, et dans ce cas en Allemagne. Je ne suis pas encore depuis assez longtemps en Espagne pour désirer porter mes pas sur un autre théâtre de la guerre en sorte que je verrais avec déplaisir peut-être notre retour précipité en France ; Il est possible cependant que quelques compagnies de sapeurs se dirigent sur Bayonne ou Perpignan si les proclamations du roi Joseph font leur effet sur les partisans.

M. le duc d’Abrantès n’est jamais visible. Je me suis présenté chez Son Excellence dix fois sans avoir pu remettre mes lettres. Comme Elle demeure à une grande distance d’ici, je me suis lassé de mes courses d’autant qu’elles ne peuvent m’être d’aucune utilité, tant que je serai attaché à ma compagnie. Je garderai cependant mes lettres dans mon portefeuille.

Adieu, chère maman, les choses les plus tendres à ma chère Henriette, et à toutes les personnes qui me sont chères. M. de Grouchy est mieux que de ce nombre.

A sa mère.

Saragosse, 19 mars 1809.

Nous allons nous rapprocher de la France, chère maman, demain nous partons pour faire le siège de Jaca. Je n ‘ai qu’un instant pour te communiquer cette nouvelle. Il est à présumer que ce fort ne nous fera pas languir aussi longtemps que Saragosse. Le maréchal Lannes ne nous donne que 10 jours pour nous en emparer. Ce temps est trop court ; lorsque tu recevras cette lettre, la place sera déjà prise et immédiatement après la reddition nous nous porterons ailleurs. Ainsi, je ne sais où tu pourras m’adresser tes lettres. Écris-moi toujours à Saragosse. Si la guerre avec l’Autriche se déclare décidément, nous pourrons, je crois quitter l’Aragon. Dans peu de temps nous saurons à qui nous ne tenir.

A sa mère.

Huesca, 15 avril 1809.

De quinze lettres que tu dis m’avoir écrites, chère maman, voici la dixième que je reçois, celle datée du 18 mars. Je ne reçois que la moitié des lettres qu’on m’écrit. Je reviens d’une expédition que nous venons de faire avec 200 sapeurs et 100 cuirassiers contre 12 à 1500 brigands commandés par Perena. Il n’a pas osé tenir la plaine. Nous l’avons poursuivi dans les montagnes où une partie de sa troupe l’a abandonné ; on parle de notre prochain départ d’ici : si c’est pour courir les champs de l’Espagne ou faire des sièges, j’en serai fâché, car nous sommes dans la ville la plus riche de l’Aragon et dans un joli pays fertile où rien ne nous manque avec notre argent. Faire la guerre en Espagne est une triste chose pour les finances : partout on nous donne des rations, ce qui fait que pour vivre un peu mieux que le soldat, il faut faire de la dépense.

Nous attendons avec la plus vive impatience quelque chose de décisif sur notre destination ultérieure ; les affaires d’Espagne marchent avec lap lus grande lenteur. A un général n’a carte blanche, en sorte que tout est conduit par le cabinet de Saint-Cloud. Il reste encore Lérida, Mequinenza et Tortosa dans la Catalogne seule à prendre, et le corps du Maréchal mortier a tourné autour de la place pendant deux mois sans rien entreprendre.

A sa sœur.

Huesca, 17 avril 1809.

Un de mes camarades, qui vient de recevoir l’ordre de se rendre en poste en Allemagne, veut bien se charger de cette lettre… Je t’engage d’en finir au plus tôt avec tes affaires de Russie[2]. Il est d’une prudence extrême de terminer dans les circonstances actuelles toutes les relations qu’on peut avoir avec un pays dont le gouvernement peut être bouleversé et contre lequel la guerre peut se déclarer d’un moment à l’autre. Celle qui a lieu maintenant entre l’Autriche et la France est la cause du départ d’une grande partie de mes camarades. Je ne sais à quoi l’on emploiera les compagnies de sapeurs et mineurs dans ce moment-ci en cantonnement dans l’Aragon. A achever probablement de détruire les murs de Saragosse. Juge, chère amie, combien il est désagréable d’être chargé d’une pareille corvée. Il peut en résulter pour moi que l’ennui de rester dans un pays où toutes les hostilités ont cessé pour tout ce qui porte l’uniforme d’ingénieur, et où la maladie épidémique de Saragosse moissonne tous les jours à nos yeux de nouvelles victimes ; il ne restera, après le départ du Maréchal Mortier qui marche vers la France, plus assez de troupes pour faire le siège des trois villes qui ne se sont point rendues ; l’armée du général Saint-Cyr, extrêmement affaiblie, tient en échec les restes de celle de Reding et occupe la partie de la Catalogne dont nous sommes maîtres. Le corps du duc d’Abrantès est entièrement dispersé et garde l’Aragon. Je suis par conséquent condamné à apprendre l’espagnol chez mes hôtes et à lire dans les journaux tout ce qui se passera en Allemagne et en Italie. Telle est ma position, ma chère Henriette. Tu sans que j’ai besoin de consolation ; pour comble de malheur, je suis oublié de tout le monde.

P.S. Je suis plus content que jamais de n’avoir pas donné mes lettres au duc d’Abrantès, il m’aurait peut-être attaché à son corps d’ambrée en me détachant de ma compagnie, et je serai condamné maintenant à voir enterrer tous les jours 400 morts à Saragosse, à recrépir les murs de son hôtel et à payer une poule 13 francs.

A sa mère.

Huesca, 25 avril [1809].

Je suis revenu ce matin d’une expédition contre Teobaldo, moine et colonel d’une troupe de paysans armés. Nous avons été à Monçon, Barbastro, etc. Mais il ne nous était pas réservé de le battre ; le 14ème régiment de ligne qui a fiat des marches forcées a eu cet honneur ; nous avons marché pendant 8 jours. Ces expéditions sont très  fatigantes.

 Nous perdons journellement de nos camarades. Cette maladie de Saragosse fait des ravages terribles. L’Espagne m’est en horreur. Ma compagnie n’a encore reçu aucune destination. On va nous employer je crois à fortifier Tudela. La  guerre avec l’Autriche paraît déclarée. Quelle campagne brillante à faire !

A Madame la comte de Razoumowski, à Évêquemont, près Meulan, Seine-et-Oise.

Huesca 19 mai 1809.

Je réclame ta bonté, ta bienveillance envers trois jeunes personnes dont la mère vient de mourir et qui m’a comblé pendant mon séjour à Metz. Ce sont Mlles de Salis qui vont passer quelque temps à Paris, peut-être s’y établir tout à fait pour régler ce qui regarde leur succession[3]En perdant leur mère, elles ont perdu appui, amie, tout.

Elles sont intéressantes sous tous les rapports. Je suis lié particulièrement avec deux d’entre elles (Mlles Irma et Cornélie). Elles te connaissent d’avance par tout ce que je leur ai dit de toi à Metz. Elles seraient  heureuses de trouver en toi une amie  qui pût les aider de ses conseils, leur tracer une route. Leur société te plaira, elle est douce. Leur conversation respire une mélancolie qui est une suite des malheurs qu’elles ont éprouvé ; avant la mort de leur père, elles jouissaient d’une fortune immense. Elles sont maintenant réduites à vivre avec une stricte économie. Je t’en dis assez sur elles, je veux te laisser la surprise de les emmener avec toi à ton prieuré d’Evêquemont, pendant quelques jours. Je te félicite de l’acquisition que tu as faite là. Cette campagne va faire  ton bonheur. Maman m’en a donné une description assez détaillée. L’air qu’on y respire ne contribuera pas peu à te rétablir de ta malheureuse rechute[4]. Mlles Irma et Cornélie te serviront de gardes-malades. Ne te laisse pas effrayer par la laideur de la première. On de fait facilement à sa figure et ses grâces, son amabilité préviennent de suite ne sa faveur. La deuxième a plus d’instruction et quelque chose d’extrêmement délicat dans l’esprit. La fièvre m’a pris comme à toi, chère Henriette ; je n’ai pas d’accès depuis 2 jours mais ils sont remplacés par des maux d’estomac.

Nous nous attendons à être attaqués tous ces jours-ci, mais l’ennemi ne s’est pas jugé assez fort pour combattre, avec ses 12,000 hommes, 2500 des nôtres. Avec du courage et quelques marches forcées et habiles, il pourrait s’emparer d’une grande partie de l’Aragon et couper la retraite à plusieurs de nos colonnes mobiles. Si on ne se détermine pas à faire le siège de Lérida, je profiterai de la bonne volonté de M. de Grouchy en le priant de me faire quitter ce pays, je ne puis que perdre ma santé ici et risquer d’être égorgé au milieu de gens dont je ne me méfierai pas.

L’Allemagne m’offrira mille avantages. Je pourrai donc passer quelques semaines avec vous.

Adieu, chère amie.

P.S. Ne t’imagine pas, Henriette, que les lettres s’ouvrent ici en France ; depuis 6 mois il n’y en a pas eu d’exemple.

A sa mère.

Saragosse, 30 mai 1809.

Nous voici revenus dans cette ville qui, comme dit le général Suchet, qui commande maintenant le 3ème corps, a été le théâtre de notre gloire et le tombeau de nos officiers. L’inactivité dans laquelle est resté le duc d’Abrantès a laissé le temps à la partie non conquise de la Catalogne de former une armée assez bien disciplinée de 25,000 hommes dont le tiers est Anglais sous les ordres du général Doice. Avec ces forces, réunies à 10,000 paysans armées par Perana, les Espagnols sont entrés dans l’Aragon et ont fait plier quelques-uns de nos régiments devant Alcaniz. Le général Laval[5] a même eu sa communication coupée avec Saragosse, mais il a su se faire jour. Toutes nos forces, qui consistent en 15,000 baïonnettes et 1000 hommes de cavaleries sont concentrées et ont pris position à une ou deux lieues d’ici. Cette nuit on a battu  la générale, les sapeurs et les mineurs au nombre de 600 couvraient le château et formaient la réserve. Nous nous attendions à une bataille, notre position était excellente. Déjà, l’avant-garde ennemie arrive, mais on ne lui laisse pas le temps de se former. Le 4ème de hussards la met en déroute en un quart d’heure et le corps d’armée de Doice se replier aussitôt, sentant qu’il serait imprudent de nous attaquer sans notre position ? Nous construisons force redoutes devant le Monte Torrero ; nous ne sommes pas assez forts pour prendre l’offensive, mais Saragosse nous offre encore des moyens de défense.

 Nous apprenons ici les succès de notre armée d’Allemagne ; les journaux nous parviennent fidèlement. Je suis chargé ici d’un travail qui m’oblige à parcourir les ruines du siège du matin au soir. Les chaleurs sont telles que les corps  morts, mal enterrés dans les caves, empestent. Tout est hors de prix ici, on refuse des rations de fourrage aux officiers de sapeurs, en sorte que je nourris mes chevaux à mes frais et le pays est épuisé en orge, avoine et paille. Nous nous réunissons [à] plusieurs pour vivre ensemble ; nos rations ne consistent qu’en mauvais mouton, pain de munition et vin qui peut servir à la salade. Nous dépensons pour deux repas 3 livres par jour en ne mangeant que le strict nécessaire, avec tout cela, nous n’avons, nous ingénieurs, pas la moindre gratification et nous n’en aurons pas. Tout ce qui appartient au duc d’Abrantès, s’en est allé couvert d’or. Les aides-de-camp ont eu chacun plus de 1000 écus. Les ballots de laine aux dépens de notre vie devaient de droit nous appartenir. On ne nous en a laissé que quelques-uns afin de ne pas faire trop crier le soldat. Tout ceci est encore des roses.

Tous les jours nous attendons l’ennemi ; à 2 heures du matin nous sommes en position. La fièvre m’a quitté, la fatigue me convient.

A suivre.


[1] Erreur. (Note du Vte de Grouchy).

[2] La comtesse de Razoumowski soutenait alors un procès contre la famille de son mari. (Note du Vte de Grouchy).

[3] Les Salis sont d’origine suisse, et il y avait sous l’ancienne monarchie un régiment de ce nom. Irma et Cornélie sont restées jusqu’à leur mort les meilleures amies de la famille. Elles avaient perdu une grande fortune à Milan pendant les guerres des premières années du siècle [le XIXème] et le général de Grouchy put obtenir plus tard du Vice-Roi d’Italie [Eugène] une large indemnité en leur faveur. (Note du Vte de Grouchy).

[4] La comtesse de Razoumowski souffrait cruellement des fièvres. (Note du Vte de Grouchy).

[5]  Il s’agit du général Leval (1762-1834).

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