L’Empereur se trouve à bord du « Northumberland », navire anglais.
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« Le 1er septembre 1815, on aperçut les îles du cap Vert; mais une tempête du S.-E., qui souffla dans la nuit, empêcha qu’on allât faire de l’eau à terre. La traversée se continua avec la même monotonie, le même vide dans l’existence. L’empereur avait eu l’idée d’apprendre l’anglais ; mais au bout de quelques jours, il s’en était dégoûté. A l’égard des étrangers qui l’entouraient son attitude restait la même : jamais une plainte, un désir exprimé; il demeurait toujours impassible et d’humeur égale. Dans ses conversations avec ses intimes, il faisait souvent des retours vers le passé; il parlait volontiers de sa jeunesse, de sa famille et, selon la tournure que prenait l’entretien, il était amené à formuler sur les événements, sur les hommes elles choses, des opinions, des faits que Las Cases recueillait soigneusement. L’empereur, s’en étant aperçu, voulut voir les notes déjà écrites, et il jugea qu’un tel travail serait forcément incomplet, sans ordre et sans utilité. C’est pourquoi il consentit, à la prière de ses amis, à dicter lui-même ses souvenirs. Le samedi, 9 septembre, il se mit à l’oeuvre en commençant par le siège de Toulon, comme il était naturel, et en passant ensuite aux campagnes d’Italie. Il y prit goût et bientôt y consacra tout son temps. Mais le Northumberland marchait toujours à la recherche des vents alizés qui devaient le porter à Sainte-Hélène. Entre les deux routes généralement adoptées pour cela, l’amiral Cockburn avait choisi celle qui rapproche du cap de Bonne-Espérance. Chaque jour, Napoléon s’informait de la santé de l’équipage et discutait avec Warden les modes de traitement des maladies. Le docteur usait beaucoup de sa lancette, et l’empereur plaisantait sur ce qu’il appelait la pratique de Sangrado. Warden, qui paraît être un fanatique de la saignée, affirme qu’il finit par convaincre Napoléon, et pourtant l’empereur paraissait se porter à merveille. Le 23 septembre, on passa la Ligne équatoriale. La fête traditionnelle fut célébrée joyeusement par l’équipage du Northumberland, avec le cérémonial bien connu. Le capitaine de vaisseau Ross, lui-même, reçut le baptême; mais l’amiral veilla à ce que la personne de l’empereur fût scrupuleusement respectée et à ce qu’on eût des égards pour ses compagnons. Napoléon voulant, selon l’usage, payer son écot et reconnaître les égards des matelots, il ordonna de distribuer au grotesque Neptune et à sa bande une centaine de pièces d’or de 20 francs; mais l’amiral, très courtoisement, s’y opposa, et cela autant par prudence que par politesse. Après avoir passé la Ligne, on rencontra des vents de S.-O., qui obligèrent le vaisseau à faire un grand détour au delà du golfe de Guinée avant de pouvoir reprendre la route de Sainte-Hélène; il semblait qu’on reculât au lieu d’avancer. »
( J. SILVESTRE, « De Waterloo à Sainte-Hélène… », Félix Alcan, Editeur, 1894, pp.297-299).