Voici ce qu’écrit le général Gourgaud. Ce passage date des 12 et 13 février 1816…
On parle d’un revenant qui se promènerait la nuit dans Longwood. Nous parlons de Lavalette. « Je n’ai fait mourir que Georges[1], et j’ai pardonné à Polignac. Comme je le regrette ! » J’observe que la clémence est toujours ce qu’il y a de mieux; après la mort de Labédoyère [2], le Roi a donné vingt-cinq louis pour faire dire des messes pour le repos de son âme. Montholon, qui, hier, avait rendu compte à l’amiral que le revenant avait fait le tour de la maison, lui avait sottement demandé que les factionnaires fussent rapprochés. Pendant la nuit, un d’eux vient à ma fenêtre, je me lève et j’en trouve un autre à ma porte ! Le matin, je dis à Montholon que c’est du dernier ridicule, que s’il a peur des revenants qui passent par sa fenêtre, il n’a qu’à la fermer, que nous sommes assez serrés comme cela ! L’Empereur me raconte que Montholon lui a parlé des revenants. Je réplique que c’est ce qui est cause que les factionnaires ont été mis sous mes fenêtres, et que l’amiral a ordonné à Poppleton de me redemander mes pistolets. L’Empereur se met en colère, dit que c’est du dernier ridicule, fait appeler Montholon, qui, pressé devant moi par Sa Majesté, avoue qu’il a demandé les factionnaires : « Il faut que vous ayez l’âme bien basse pour vous faire notre geôlier. Un clou seul suffit. Bientôt si cela continue, il y aura des factionnaires jusque dans ma chambre ! Pourquoi prétendez-vous que je cours des dangers? Que les matelots, les habitants, vexés de mon séjour dans cette île, veulent m’assassiner ? C’est une sottise. D’ailleurs, s’il était nécessaire, quelqu’un de mes officiers coucherait près de ma chambre, mais, pour Dieu ! Ne prenez pas tant de soin de ma sûreté, en employant des factionnaires anglais. Vous dites que l’on amène des filles[3]; si cela devient scandaleux, vous pouvez bien l’empêcher sans les Anglais ! Ne voulez-vous pas que ce soit ici un couvent ? » Bourrade. « Allons, laissez-moi tranquille. »
[1] Allusion à l’exécution du général royaliste Georges Cadoudal, un des principaux opposants au futur empereur. Il fut exécuté à Paris en juin 1804.
[2] Célèbre général, fusillé par ordre de Louis XVIII, pour sa fidélité à Napoléon, le 19 août 1815.
[3] Prostituées.