Accueil TEMOIGNAGES « Dans notre métier, on manque souvent de pain, et plus souvent encore de papier et d’encre ! »

« Dans notre métier, on manque souvent de pain, et plus souvent encore de papier et d’encre ! »

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Au bivouac, près Vienne, 9 juin 1809.

A l’instant, mon cher ami, je reçois ta lettre du 27 du mois passé. Tu as tellement tort de t’imaginer qu’on peut toujours écrire quand on le veut ; dans notre métier, on manque souvent de pain, et plus souvent encore de papier et d’encre ! Nous sommes toujours campés près de Vienne ; depuis plusieurs jours, nous avons été placés à la droite de la ville, entre le faubourg Landstrasse et le fameux Ebersdorf. Nous nous attendons à passer le Danube d’un moment à l’autre, ou du moins à nous mettre en mouvement contre l’ennemi d’une manière quelconque. Avant-hier, à 6 heures, du soir, toute la division Friant s’est rendue à Schoenbrunn. Sa Majesté a passé en revue les cinq régiments qui la composent ; tous les grades vacants vont être remplacés par son ordre. Il y a eu un avancement considérable. je me trouve déjà avoir dix capitaines après moi. L’armée française se concentre de plus en plus ; si je ne me trompe, nous touchons au moment d’une grande affaire.

Adieu, mon ami. Je vous embrasse tous de grand coeur.

P.S. C’est justement la belle Coquette que j’ai perdue à l’affaire de Ratisbonne. C’est un vrai deuil pour moi ; cette bête-là valait son pesant d’or ! Je te disais par ma dernière que j’avais acheté un autre cheval, qui est beau, mais qui ne vaut pas grand’chose ; je viens encore d’en acheter un autre qui provient du colonel Brunet, du 24ème chasseurs à cheval, qui a perdu un bras à l’affaire devant Ebersdorf et qui s’en retourne en France. Notre métier d’adjudant-major est très pénible en campagne ; je suis tout à fait bien dans l’opinion de mon colonel, et par conséquent toujours sur pied. Puisqu’il faut te le dire encore une fois, mon régiment fait partie de la 3ème division du 3ème corps d’armée. M. le maréchal Davout commande en chef. M. le comte Friant commande la division ; et enfin M. le général baron Gilly commande la 1ère brigade, c’est-à-dire les 15ème régiment d’infanterie légère et 33ème d’infanterie de ligne. Les autres régiments de la division sont les 48ème, 108ème, et 11ème de ligne.

Nous occupons la droite de la division en notre qualité de tirailleurs, ce qui signifie en bon français que les premiers coups de fusil et les premiers boulets sont pour nous. Nous avons perdu jusqu’à ce moment :

1 officier de grenadiers … tué
1 officier de grenadiers … blessé
2 adjudants-majors … blessés
10 officiers des compagnies du centre… blessés
70 soldats … tués
580 soldats … blessés

 Actuellement, mon cher ami, j’espère que tu ne me diras plus que je ne te donne pas de détails.

COUDREUX.

(« Lettres du commandant Coudreux à son frère, 1804-1815. Publiées par Gustave Schlumberger », Plon, 1908).

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