Ce portrait figure en tête des Mémoires inédits de Roustam qu’a publiés la « Revue Rétrospective » (de janvier à juin 1888) ; c’est un peu grâce à ces Mémoires que nous avons connu la carrière accidentée du fameux mameluck ; par malheur, l’auteur s’éternise en une infinité de détails inutiles, mas, à vrai dire, ces souvenirs n’étaient point destinés à la publication, leur auteur les ayant modestement intitulés ; « La vie privée de sier [sic] R. R…[Roustam Raza] jusqu’à 1814 [sic] » Il suffira de savoir que quelques jours avant son départ d’Egypte, le général Bonaparte reçut ne présent du cheik El Bacri deux de ses meilleurs mamelucks. Napoléon garda Roustan et donna Ali à Joséphine [celui-ci finira par être renvoyé et remplacé par un « faux » mameluck, Louis-Etienne Saint-Denis, né à Versailles, auquel l’Empereur donnera le même nom d’Ali]. Dès ce moment, Roustan suis partout son maître. Fiancé à la fille d’un des valets de chambre de l’Impératrice peu de temps avant le départ pour ma campagne d’Austerlitz, Roustam revient aux Tuileries le 26 janvier 1806. Le 12 février, l’on festoie dans un cabaret à la mode ; les agapes sont joyeuses et copieuses, l’addition que règle l’Empereur se chiffre par une dépense de 1,341 fr. Trois jours après, notre « gros garçon », comme l’appelle familièrement Napoléon, devient l’époux légitime de Mlle Douville, comptant seize printemps. D’après les dires du narrateur, le maître appose sa signature sur le contrat, assertion que pourront vérifier les amateurs en consultant le minutier du successeur de maître Foucher.
Avant la fin de l’année, Mme Roustam donne un héritier à son mari et par une missive de la belle-mère, l’heureux père est informé de la nouvelle sur le champ de bataille même de Pułtusk. Tout ému, Roustam saisit la première occasion pour faire part au maître de la venue au monde du jeune Achille.-« C’est bien, réponde le grand conquérant, j’ai un mameluck de plus ; il te remplacera, je l’espère. »
Jusqu’à la veille de l’abdication, il n’est point malaisé de suivre pas à pas notre Géorgien. Puis, il s’embrouille en racontant son séjour de deux mois à Dreux qu’il attribue aux vexations de la police royale ; en tout cas, il ne précise ni la cause ni les motifs de sa brusque disparition. A différentes reprises, Roustam avait reçu de l’Empereur des sommes relativement importantes, ce qui avait fait croire qu’il devait être à son aise. Sous la Restauration toutefois, l’ancien mameluck menait une existence très retirée et fort modeste, habitant la rue Saint-Martin, n°228, à Paris, un appartement de 428 fr. de loyer. Il n’en fut pas moins étroitement surveillé ; un rapport de police le représente « homme tout à fait inabordable, menant en apparence une vie retirée, très méfiant, froid, peu communicatif, à peine connu de ses voisins » ? En apparence, parce que les fréquents voyages à Londres de Roustam, avaient éveillé de nouveaux soupçons, lesquels, d’ailleurs, tombèrent dès que es véritables motifs de ces déplacements furent connues ; engagé par quelque barnum britannique, Roustam traversait le détroit pour se produire, revêtu des riches atours orientaux de sa splendeur passée, devant l’aristocratie anglaise et les badauds londoniens. Ces exhibitions, sans doute lucratives, n’eurent qu’un temps. En 1831, Louis-Philippe donna à Mme Roustam une petite situation à la poste aux lettres de Dourdan. Son mari et elle vécurent dès lors dans cette petite ville, entourés de leurs deux filles. Il fallut l’imposante cérémonie du 15 décembre 1840 pour arracher Roustam à sa paisible retraite. Ne devait-il pas d’ailleurs ce dernier et bien tardif tribut de reconnaissance à la mémoire de celui qui l’avait tiré de l’esclavage ?
Cinq ans plus tard, presque jour pour jour, Roustam mourait. Le document suivant précise la date de l’événement : « le sept décembre mil huit cent quarante-cinq, à cinq heures et demie du matin, est décédé Roustan [Roustam] Raza, ancien mameluck de l’empereur Napoléon, né à Tiflis, en Géorgie, âgé de soixante-quatre ans, demeurant à Dourdan, fils de… et de …, époux d’Alexandrine-Marie-Marguerite Douville.»
Extrait du « Carnet de la Sabretache », 1900.
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En complément…
Au sujet de son témoignage. Les «Souvenirs » de Roustam parurent la première fois en volume en 1911, à l’initiative de Paul Cottin et de Georges Bertin, chez P. Ollendorff. Cette édition fut préfacée par Frédéric Masson. Ce récit a été réédité en 2010 par les Editions Jourdan (à Bruxelles, Belgique). Le témoignage qu’a laissé Roustam est très décevant et mal écrit. Lire aussi l’ouvrage d’Hector Fleischmann, « Roustam, mameluck de Napoléon « (Albert Méricant, s.d. [vers 1910]). Ce livre contient une autre version du témoignage de Roustam.