« Nos beaux jours d’abondance disparurent aussi vite qu’ils étaient venus. Il fallut bientôt aller faire des vivres au loin. On organisa, par régiment, un bataillon formée d’officiers, sous-officiers et soldats pris dans toutes les compagnies, et commandé par un chef de bataillon assisté d’un officier d’état-major. Le prince Eugène et Murat étant en avant de Moscou vers l’Est, on allait dans les directions couvertes par leurs troupes. Je fis partie de la première de ces expéditions qui nous mena, à trois heures de marche de Moscou, dans les premiers jours d’octobre, jusqu’à un superbe et immense château, près duquel se trouvait un misérable village à toits de paille. Reconnaissance de la position par un détachement de trente hommes dont je faisais partie, entre en pourparlers avec les pourparlers avec les vieux domestiques restés dans cette demeure, par l’intermédiaire d’un soldat polonais. Après avoir placé des postes de sûreté le bataillon se forma dans la cour du château et personne autre que les officiers et les hommes de corvée portant les vivres, ne pénétra dans cet édifice. Aucun objet, de quelque nature qu’il fût, en dehors de ce qui était destiné à notre alimentation, ne fut déplacé, grâce aux ordres très sévères donnés à ce sujet. Nous pûmes ramener, sur une charrette attelée d’un misérable cheval trouvé dans le village, un bon chargement de provisions de toutes sortes, on avait même découvert de la farine et des légumes secs dans les pauvres maisons de ce hameau. Étant le plus ancien sous-officier du détachement, j’obtins la permission de visiter, à la suite du chef de bataillon et de l’officier de l’état-major, ce palais princier, d’une richesse inouïe. Ce qui me frappa le plus, ce fut une collection d’armures, depuis les temps les temps les lus reculés jusqu’à nos jours, et j’estimai que celles des Maures d’Espagne étaient les mieux appropriées pour le combat, les plus artistiques, et les plus finies. Nous quittâmes ces splendeurs les mains vides. Le lendemain, 9 otobre, nous rentrions au régiment où nous fûmes joyeusement reçus. La répartition des vivres eut lieu de suite, le surplus versé au magasin pour ajouter aux distributions journalières déjà commencées et qui consistaient en pommes de terre et en choucroute [choux conservé dans une saumure]. Nous fîmes des barils de cette dernière denrée comme provisions pour l’hiver !!! »
(Capitaine Vincent Bertrand, « Mémoires. Grande-Armée, 1805-1815. Recueillies et publiés par le colonel Chaland de La Guillanche, son petit-fils [1ère édition en 1909]. Réédition établie et complétée par Christophe Bourachot », A la Librairie des Deux Empires, 1998, pp.136-138).